The Revenant, un film d’Alejandro González Iñárritu: Critique

Le succès critique et public de Birdman, Oscar du meilleur film en 2015, a placé Alejandro González Iñárritu dans une telle vague de popularité qu’il fait de son nouveau film, avant même sa sortie, un des grands favoris aux Oscars, alors que jamais un réalisateur n’a remporté  deux fois de suite la statuette du meilleur film.

Synopsis: Dakota, 1823. Un groupe de trappeurs est en expédition sur les territoires indiens pour y braconner des peaux d’animaux. Quand l’un d’entre eux est sauvagement attaqué par un grizzli, ces acolytes sont contraint de l’abandonner sur place. Après avoir vu son fils assassiner sous ses yeux impuissants avant d’être laisser pour mort par un traitre, il choisira de le traquer à travers les terres sauvages. Grâce à sa volonté et malgré ses blessures, sa quête de vengeance lui fera dépasser ses limites.

 Man Versus Wild

La hype autour de la performance de Leonardo DiCaprio aura elle aussi relancé la sempiternelle polémique autour de son absence de reconnaissance de la part de l’Académie. Dans la peau du trappeur Hugh Glass, il est certain que l’ancien play-boy de Titanic et de La Plage quitte sa zone de confort pour se plonger dans une prestation d’une intensité qu’il n’avait jamais atteint jusqu’ici. Mais qu’en est-il du film lui-même ?

Depuis ses débuts, Iñárritu a montré son immense talent pour deux choses en particulier : d’abord les films choraux, grâce à sa collaboration avec le scénariste Guillermo Arriaga (21 grammes et Babel se sont imposés comme des références dans le domaine), et ensuite les longs plans séquences, Birdman étant lui-aussi devenu un modèle en la matière. La nouvelle prestation qu’il nous propose à l’occasion de son sixième long-métrage ne repose sur aucun de ces deux procédés cinématographiques, mais Iñárritu ne s’aventure pas pour autant en terrain inconnu. En choisissant d’adapter le roman éponyme de Michael Punke – dont s’est accaparé Hollywood dès sa sortie en 2002 mais dont la difficulté d’adaptation a fait jeter l’éponge à bon nombre de réalisateurs–, le réalisateur mexicain a refait appel au chef opérateur de son précédent film, Emmanuel « Chivo » Lubezki. C’est ce dernier qui a imposé que le film soit intégralement filmé en lumières naturelles, rendant le tournage beaucoup plus long et difficile que prévu, au point d’en faire exploser le budget. Mais le résultat est payant : la beauté avec laquelle le directeur de la photographie (qui a fait ses preuves chez Alfonso Cuarón et Terrence Malick) filme les décors est d’une magnificence éblouissante. Il suffit de voir la bande-annonce pour s’en convaincre. Dans le domaine du western, le goût pour le contemplatif est de plus en courant mais il atteint ici un niveau inégalé… au point d’en venir à vampiriser tout le film, comme ça a avait pu être le cas du récent McBeth dont la forme écrasait littéralement le fond.

Dans l’ouverture du film, une scène de combat entre trappeurs et indiens profite ainsi d’un plan-séquence d’une fluidité exceptionnelle. Une scène d’une maitrise formelle bluffante, suivie de peu par la scène déjà culte de l’attaque de l’ours, une pure réussite en termes d’effets spéciaux. Cependant, le film semble tirer ses meilleures cartes dans cette première demi-heure, la suite étant bien plus pauvre en fulgurances visuelles. L’usage du grand angle et les mouvements à 360° sur lesquels le premier acte joue beaucoup se raréfient de plus en plus, au point qu’ils ne se ressentent plus que dans l’effet de déformation des visages filmés en gros plan. Rien d’innovant donc. En même temps que les effets de caméra s’aplanissent, le pouvoir immersif et la tension du film s’amoindrissent peu à peu. Un comble pour le projet qui repose à tel point sur sa puissance sensorielle et le partage de la souffrance vécue par son héros. Le travail du mixage son réussit toutefois à maintenir une impressionnante ambiance oppressante (d’où la nécessité de voir le film en salles !), le tout accompagné par une musique, très discrète mais toujours très juste pour rythmer les montées d’adrénaline, signée par le toujours irréprochable Ryuichi Sakamoto, qui nous prouve une nouvelle qu’il sait adapter sa maestria à tous les univers.

Alors que l’on avait pu reprocher (pas nous, mais certaines mauvaises langues) à Birdman d’être pompeux et élitiste dans son propos, ou encore à Biutiful d’être misérabiliste, Iñárritu a fait ici le choix d’un scénario minimaliste. Sur un schéma parfaitement identique à ce que son ami Alfonso Cuarón a fait avec son Gravity, il imagine un survival en solitaire, et donc forcément très peu dialogué. Et les problèmes s’avèrent au final exactement les mêmes dans les deux cas : un manque d’empathie pour le personnage principal et une absence de point de vue rédhibitoire. Au vu du grand nombre de longs passages scénaristiquement vides, pendant lesquels Iñárritu semble préférer se regarder filmer que d’explorer ses personnages, ou de scènes oniriques, où l’influence de Malick devient frappante (c’est chez lui qu’a été débauché la majorité de l’équipe de la direction artistique), il apparaît comme évident que le film n’a finalement rien à raconter, et ne cherche à s’étirer que pour rendre plus tangible la performance de son acteur. Les scènes de rêve qui, justement, se multiplient d’une façon assez maladroite, au point que la dimension mystique qu’elles sont sensés apporter finit par atteindre une lourdeur digne d’un Bluberry. Et, de la même façon que la mise en scène Gravity assimilait le périple en apesanteur de Ryan Stone à une nouvelle naissance, l’allégorie est ici beaucoup plus appuyée par un nombre incessant de symboles à l’enfantement. Si encore la traversée du désert (du personnage comme de la narration) était ponctuée par davantage de moments impressionnants, le récit de Hugh Glass aurait pu être plus captivant. Or, les quelques cascades –par ailleurs presque toutes présentes dans la bande annonce– et le réalisme que les impressionnants maquillages procurent aux stigmates physiques du héros ne suffisent pas à rendre palpitantes l’ensemble des 2h30. Et ce n’est pas la conclusion, un peu trop bâclée et moralisatrice, bien loin du jusqu’au-boutisme que l’on pouvait en attendre, qui nous permet de penser que nous avons bien fait d’endurer tout ce qui a précédé pour en profiter.

Revenons à la question qui semble davantage intéresser le public que la représentation de la transformation d’un homme mortel en créature assoiffé de sang sur lequel l’hostilité du monde ne semble plus avoir d’emprise : la prestation de DiCaprio. Il apparait évident que ce cher Léo a accepté l’exercice pour démontrer une bonne fois pour toutes qu’il n’avait plus rien à prouver en tant qu’acteur. Loin des interprétations assez bavardes qu’avaient pu être ses récents rôles chez Scorsese, Eastwood, Tarantino ou Baz Luhrmann, et grâce à une performance brutale et viscérale, il fait ressortir toute la bestialité qui est en lui et casse ainsi son image trop souvent lisse. Cette preuve de bravoure, loin d’être inintéressée, a beau être convaincante, elle a tout de même la limite de ne faire ressortir qu’une seule et unique émotion du début à la fin : la douleur. Pour ce qui est des émotions plus « dramatiques », que l’on pourrait résumer au deuil et à la volonté de vengeance, il faut compter sur les scènes de rêve et de flashbacks pour les faire transparaitre, mais dans ces passages force est de constater que DiCaprio est terriblement inexpressif. Et à côté de l’extrême et indiscutable souffrance que DiCaprio réussit à donner à son personnage, il y aussi des acteurs secondaires qui méritent d’être remarqués. Le premier d’entre eux parmi ce beau panel de gueules burinés est incontestablement Tom Hardy qui lui aussi, dans une prestation plus physique que dialoguée, fait preuve d’une présence qui transcende la part animale que peut dégager sa carrure. Un choix de casting évident tant sa silhouette fait du combat final un écho évident à celui contre l’ours deux heures plus tôt. Il serait également dommage de ne pas mentionner Will Poulter, en jeune aventurier victime de sa naïveté, et Domhnall Gleeson, en capitaine inflexible, tous deux impeccables.

La virtuosité de la mise en scène d’Iñárritu, la somptuosité des images assurée par Chivo et le jeu soutenu de DiCaprio font de The Revenant un film d’aventure de très bonne facture, mais ces arguments positifs sont contrebalancés par un certain nombrilisme, un sur-symbolisme et une vacuité thématique. Une équation qui empêche à cette quête de vengeance d’atteindre la grâce du grand film qu’il aurait pu être. Iñárritu, qui jusque-là signait un film tous les deux ou trois ans, aurait sans doute dû prendre un peu de recul  avant de se lancer dans cette fable radicale sur l’opposition intrinsèque de l’Homme et de la Nature.

The Revenant – Bande-annonce

The Revenant – Fiche technique

Réalisation : Alejandro González Iñárritu
Scénario: Alejandro González Iñárritu, Mark L. Smith
D’après l’œuvre de : Michael Punke
Interprétation: Leonardo DiCaprio (Hugh Glass), Tom Hardy (John Fitzgerald), Will Poulter (Bridger), Domhnall Gleeson (Andrew Henry)…
Image: Emmanuel Lubezki
Costumes: Jacqueline West
Montage: Stephen Mirrione
Musique: Ryuichi Sakamoto
Producteur(s): Keith Redmon, Steve Golin, David Kanter, Alejandro González Iñárritu, Arnon Milchan, James W. Skotchdopole, Megan Ellison, Mary Parent…
Production: RatPac Entertainment, New Regency Pictures
Distributeur: Twentieth Century Fox France
Date de sortie: 24 février 2016
Durée: 156 minutes
Récompenses: Golden Globe 2016 du meilleur film, du meilleur réalisateur et du meilleur acteur, Oscars 2016 du meilleur réalisateur, du meilleur acteur pour Leonardo DiCaprio et de la meilleure photographie
Genre: Western, aventure, drame

Etats-Unis – 2016

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