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Rencontre avec Laëtitia Eïdo et Mehla Mammeri-Bossard pour le film Fadhma N’Soumer de Belkacem Hadjadj

Festival Caravane des Cinémas d’Afrique : La compétition commence vraiment

Après une soirée d’ouverture un peu décevante (heureusement rattrapé par la présence de l’actrice Yousra Tarik), nous embarquons pour le premier vrai jour de festival de la Caravane des Cinémas d’Afrique.

Samedi 2 Avril – 2ème jour

Comme je l’ai dis, Caravane ce n’est pas que du cinéma. C’est plus largement l’occasion de mettre en avant la culture africaine par tous les moyens possibles. C’est comme ça qu’ait venue l’idée le Bivouac Littéraire, où les livres sont à l’honneur, et où plusieurs auteurs viendront tout au long de la semaine. Enfin, s’ouvrait ce samedi la grande exposition « Gèlèdè, du divin au quotidien », par le collectionneur Jean-Yves Augel, a qui cette exposition doit beaucoup. Je n’ai toujours pas eu le temps d’y aller. Aujourd’hui, je viens pour deux films seulement. Un peu en retard, car il y a moins de bus le week-end. Heureusement, j’arrive à temps pour le début de la projection.

Le premier, c’est Fadhma N’Soumer, un film algérien de Belkacem Hadjadj, avec Laëtitia Eïdo et Assaad Bouab.

Récompensé de l’Etalon d’Argent au FESPACO 2015, il réhabilite la figure de Lalla Fadhma, résistante kabyle au moment de la colonisation de l’Algérie par les Français au 19ème siècle. On a là un film à plus gros budget que le film d’ouverture, et cela se voit, dans les décors, les costumes, les figurants, et les scènes de bataille, nombreuses et bien faites. Toutefois, le film ne cherche pas à ressembler bêtement à un film de guerre occidental. Même s’il s’en approche, il garde un ton et un regard différent de ce que l’on a l’habitude de voir en France, et c’est plutôt plaisant. Pour ce film (et pour tous ceux du festival), le danger est de faire une œuvre qui cherche à convenir à l’Occident. C’est ce que pointent certains critiques sur le net, l’effacement de caractéristiques arabo-musulmanes pour mieux se vendre à l’international, ce que malheureusement je ne peux juger. Le film est tout de même intéressant, notamment dans son rapport à l’oralité et à l’histoire. Le personnage de Lalla Fadhma, même s’il est avéré qu’elle ait existé, est entouré de mystère, que le film cherche à combler. Pour ne pas perdre cet ancrage dans le conte, Hadjadj place à plusieurs reprises le personnages d’un poète, chantant le film en introduction. Il va même jusqu’à raconter une scène de bataille que l’on ne voit pas, mais qu’on entend. C’est à ce moment là que l’imaginaire reprend ses droits. Si certains acteurs en font un peu trop, ce n’est pas le cas de la protagoniste principale, la franco-libanaise Laëtitia Eïdo (que certains connaissent peut-être pour son rôle d’Eshana dans Hero Corp…), dans une intensité rare, à la juste mesure de son personnage. Elle nous a fait le plaisir d’être présente, accompagnée de l’actrice Mehla Mammeri-Bossard qui interprète Ninouche, et du critique Michel Amarger.

Retranscription de la rencontre publique avec les actrices Laëtitia Eïdo et Mehla Mammeri-Bossard, à propos du film Fadhma N’Soumer de Belkacem Hadjadj, animée par le critique Michel Amarger

Michel Amarger : Quand vous travaillez sur un rôle, vous cherchez à en savoir plus sur le personnage. Qu’est-ce que vous avez découvert ?

Laëtitia Eïdo : C’est compliqué parce qu’il n’y a pas réellement d’images, si ce n’est beaucoup de peintures sur les murs, en Kabylie. Autant il y a des algériens non-kabyles qui n’ont jamais entendu parler d’elle, autant c’est vraiment une figure très forte pour les kabyles. Elle est dans les livres d’histoires, les manuels scolaires, mais il n’y a pas de détails très précis. Le film a été vérifié par de nombreux historiens, donc il n’y a pas d’erreurs historiques.
J’ai bien sûr lu des choses sur elle, mais je fais beaucoup confiance au scénario, et je me suis plutôt concentré sur le scénario que sur le reste, puisqu’on n’est pas sûr de son histoire, à part ce qui a été validé. J’ai également travaillé mon kabyle pendant un an et demie pour arriver à ce résultat. On a même dû post-synchronisé certaines phrases que j’avais raté au moment du tournage. Ca a été très dur mais je suis très contente d’y être arrivé, puisque des linguistes m’ont dit qu’ils avaient mis ma tête à prix (rire) mais qu’en fait ils venaient me féliciter. Au final, j’ai l’air d’avoir un accent de l’est de l’Algérie, mais ils me comprennent.

M.A. : Belkacem Hadjaj a du lutter pour faire accepter une non-kabyle dans le rôle.

L.K. : Hadjadj a cherché pendant six mois une actrice en Kabylie. Les Kabyles ont été mécontents, mais il y a un imaginaire autour du personnage, sur les peintures, qui me ressemble vraiment, alors que ce n’est pas le cas sur les photos.

Mehla Mammeri-Bossard : Quand j’ai vu Laëtitia pour la casting, je me suis dit tout de suite que c’était elle.

L.K. : Il a fallu ensuite résoudre le problème de la langue. A l’époque j’étais assez têtue pour le faire, je me suis dit que j’y arriverai.

M.A. : Mehla, votre personnage est complémentaire de celui de Laëtitia dans le film.

M.M-B. : Mon personnage est un peu le Jiminy Cricket de Lella Fadhma. C’est un personnage bienveillant et maternel, qui est là pour la réconforter mais aussi la préserver.

M.A. : Vous qui connaissez la culture kabyle, avez-vous senti des écarts ?

M.M-B. : Oui bien sûr. A l’époque un mariage forcé, ça ne se refusait pas ! (rires). La tresse qu’elle coupe est un geste très fort. Les femmes n’avaient pas leur liberté. C’est un personnage qui parle à la fois pour les femmes, pour la liberté, et c’est pour ça qu’il est fort. C’est assez audacieux de sortir un film comme ça aujourd’hui, mais l’accueil a été très bon.

M.A. : Qu’est ce qui vous a guidé pour jouer ce rôle avec cette prestance-là ?

L.K. : Avec mon coach, on a défini deux mots : elle sait. Elle sait qu’elle va perdre la bataille, mais elle y va. Elle sait qu’elle est en train d’enfreindre la loi, mais elle le fait. Elle est guidée par cette espèce de souffle, c’est pour ça qu’on la comparait a Jeanne d’Arc. Elle a un message, elle se sent investie d’une mission. Même quand elle va à la mort, elle guide les siens, pour l’honneur et parce qu’elle ne se rendra pas. Elle ne se marie pas non plus, c’est une manière de ne pas se rendre. En tout cas, je l’ai joué comme ça.

M.A. : Votre personnage passe beaucoup par l’intensité de votre regard, comment avez-vous travaillé ?

L.K. : Je ne travaille pas.

M.M-B. : Elle est.

L.K. : C’est le principe d’être juste quand on est et pas quand on fait, et ce film a été un pur bonheur. Ce rôle d’insoumise me tenait tellement à cœur, je me laissais traverser par cette chose en elle, sauf qu’elle était brimée pour de vrai.

M.A. : Il n’y a rien qui vous ait brimé pendant le tournage ?

L.K. : C’était des conditions très difficiles, il faisait froid et chaud. On avait l’armée qui nous encadrait, mais plus c’était difficile et plus on avait envie de le faire.

Malheureusement, il ne pouvait pas y avoir d’échanges avec le public, car la séance d’après devait démarrer. Je ne voulais pas la rater, alors je me suis dépêché de sortir et de re-rentrer dans la salle, en étant au passage passé au guichet, pour assister au démarrage de l’un des événements de ce festival : la Nuit du Cinéma Marocain.