L’attrape-rêves, un film de Claudia Llosa : Critique

L’attrape-rêves fait sans conteste partie de ces films à ambiance qui instaurent d’emblée un climat et une atmosphère singuliers grâce à des décors naturels grandioses, un univers personnel, des thèmes originaux, un rythme hors du temps et un style atypique.

Synopsis : Dans le grand Nord canadien, une mère isolée lutte pour s’en sortir avec ses deux fils, Ivan et Gully. Son aîné est passionné par les faucons, tandis que son cadet est gravement malade… A cours d’options, elle décide sans trop y croire de rendre visite à un guérisseur dans l’espoir de sauver son enfant, mais sa quête va rapidement tourner au drame. 

En choisissant de poser ses caméras sur la banquise, aux confins du cercle polaire, la réalisatrice péruvienne nous transporte vers des contrées lointaines et inconnues propices à l’évasion. Mais en dépit de ses qualités et de sa sincérité, le film ne parvient pas à nous transcender, sans doute à cause d’un manque de spiritualité et d’approfondissement qui empêche le récit de se doter de l’ampleur escomptée.

Une tonalité poétique et éthérée  

L’attrape-rêves plante son action dans un monde à part, puisque l’histoire se déroule dans le grand Nord canadien, près des réserves indiennes. Teintée d’un mysticisme viscéral et d’une atmosphère étrange, l’intrigue surprend par son originalité. Les personnages évoluent dans une nature somptueuse, à mi-chemin entre ciel et terre, comme suspendus dans une dimension unique, à la croisée de plusieurs chemins. Les banquises, les lacs gelés, les étendues de glace à perte de vue et les forêts enneigées sont tant d’éléments qui contribuent à faire de ce projet une oeuvre hors du commun qui nous happe et nous incite à l’évasion, au voyage. De plus, la réalisatrice s’intéresse à des individus mystérieux : les guérisseurs, tantôt admirés tantôt méprisés. Ces êtres, connectés à des éléments spirituels qui nous dépassent, fascinent par leurs dons mais suscitent également beaucoup de scepticisme. C’est sur cette inquiétante étrangeté, cette dualité et ce mystère que se penche la cinéaste, en tentant non pas de percer les secrets de ces chamans, mais de comprendre leurs motivations, leurs pouvoirs, leur démarche. Fort d’un visuel très marquant, le long métrage oscille toujours entre gravité et légèreté, tout comme les installations éphémères que filme Claudia Llosa. Les héros construisent, à l’aide de brindilles et de branchages, des cabanes, des abris et autres balançoires arachnéennes qui évoquent les croyances et les pratiques ancestrales des tribus indiennes, en phase avec leur foi, les Dieux, l’au-delà, l’âme. Cette idée, qui domine le récit, est également relayée par la présence très importante des faucons, symbole animal très ancré dans la culture amérindienne, chez qui l’oiseau est perçu comme l’esprit totem de la roue de la vie. L’attrape-rêves est donc un film qui nous élargit la pensée et nous fait découvrir de nouveaux horizons, en prônant une approche holiste du monde, où tout serait régi par des interconnexions fondamentales qui échappent aux humains. Il ne s’agit pas de prendre position, mais de croire et de se laisser porter.

Des sujets sensibles et douloureux traités avec douceur 

Le film retrace avant tout l’errance de plusieurs personnages. D’un côté, Nana Kunning, submergée par l’aspect arbitraire de la vie et l’injustice chaotique qui régit son existence, se cherche et tâtonne avant de trouver sa voie, quitte à heurter ses proches et à briser des vies au passage. De l’autre, Ivan, homme blessé et bourru qui se réfugie dans son amour pour les faucons, se met en quête de réponses qui s’avéreront (peut-être) rédemptrices. Entre ces deux âmes tourmentées, Jannia Ressmore, une journaliste courageuse, lutte contre la maladie et entame une course contre la montre effrénée en attendant un miracle. Ces parcours croisés nous marquent par la force des problématiques que chaque héros porte en lui. Culpabilité, deuil, pardon, maternité et filiation, croyances, espoir, rage, maladie, abandon et ressentiment sont au cœur de l’Attrape-rêves, qui aborde des thèmes difficiles et universels sous un angle très personnel, vecteur de sincérité et d’émotion. Doux, bienveillant, délicat et intriguant, le long métrage s’avère être plutôt une bonne surprise, sublimé par une touche de féminité qui arrondit les angles et confère à l’ensemble une certaine grâce.

Un résultat mitigé qui nous laisse sur le bord de la route

Malgré les nombreux points positifs qui rendent l’Attrape-rêves aussi curieux qu’agréable, on peurt déplorer la structure narrative maladroite avec une alternance mal dosée entre flashbacks et présent, mais surtout le manque d’ampleur et d’intensité du film, qui aurait pu être bien plus impactant et fort. Peu émouvants, les personnages nous paraissent froids, distants et inaccessibles, ce qui freine le processus d’empathie. On ne ressent pas leur chagrin, leur détresse ou leur peur face à l’incertitude du destin, et on n’éprouve ni tristesse, ni pitié, ni sympathie pour ces trois piliers qui évoluent sous nos yeux en portant leurs fardeaux dans l’indifférence. C’est clairement dommage : on aurait aimé vibrer et pleurer avec eux ! Même remarque pour les nœuds dramatiques qui se font et se défont trop rapidement, presque de façon arbitraire. Le basculement de Nana s’opère abruptement, les raisons qui la poussent à quitter son foyer ne sont pas expliquées, et son attitude peut même rebuter, puisqu’elle préfère aider des inconnus au détriment des siens, sorte de postulat aussi altruiste qu’égoïste et destructeur qui nous laisse dubitatif. On aurait apprécié que la cinéaste développe cette ambiguïté pour montrer la complexité des Hommes mais également pour créer le débat, le malaise, nous pousser dans nos retranchements. Idem pour Ivan, à qui la finesse fait défaut. Emmuré dans le silence, bourru et rustre, il est manifestement à vif, il se protège. Et pour cause : rongé par la culpabilité et poursuivi par un acte qu’il n’a jamais pu se pardonner, il nourrit une certaine rancœur à l’égard de sa mère qui l’a abandonné. Là encore, la confrontation finale entre le fils et sa génitrice, qui aurait pu être déchirante, manque d’enjeux. Le face à face est expédié, l’émotion se fait attendre, et la résolution arrive bien trop vite ! Au final, l’Attrape-rêves se laisse voir mais sonne inéluctablement creux en dépit d’une matière de départ riche et prometteuse, qui n’a pas été exploitée et approfondie à sa juste valeur. Des lacunes.

Joli, poétique avec un sujet original rarement vu au cinéma, un traitement sensible et des paysages magnifiques, L’attrape-rêves surprend mais ne convainc pas totalement : absence d’empathie, rythme qui ne décolle pas, léger manque d’approfondissement dans l’écriture des personnages… Ce film témoigne d’une belle démarche personnelle et s’impose comme une tentative artistique qui a le mérite de sortir des sentiers battus, pour un résultat malheureusement en demi-teinte. 

L’attrape-rêves : Bande Annonce

L’attrape-rêves : Fiche Technique

Titre original : Aloft
Réalisation : Claudia Llosa
Scénario : Claudia Llosa
Interprétation: Jennifer Connelly (Nana Kunning) ; Mélanie Laurent (Jannia Ressmore) ; Cillian Murphy (Ivan) ; Oona Chaplin (Alice) ;
Décors : Eugenio Caballero
Costumes : Heather Neale
Photographie : Nicolas Bolduc
Montage: Guillermo de la Cal
Musique: Michael Brook
Producteurs : Ibon Cormenzana, Phyllis Laing, José Maria Morales
Distributeur : Jour2Fête
Durée : 94 min
Genre: Drame
Date de sortie : 26 octobre 2016

Canada/France/Espagne – 2014

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Redactrice LeMagduCiné