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La Porte du Paradis, un film de Michael Cimino : critique

Synopsis : Wyoming, comté de Johnson, 1890. Alors que les immigrés fuyant l’Europe arrivent par milliers, une association de riches propriétaires et éleveurs recrute 50 tueurs à gages et établit une liste de 125 étrangers à abattre.

Film maudit et chef d’œuvre éblouissant, l’épopée de Michael Cimino revisite le mythe de l’Amérique

En 1978, Michael Cimino est devenu un des cinéastes à la mode à Hollywood. Le jeune scénariste protégé par Clint Eastwood, qui produira son premier film, Le Canardeur, en 74, vient de remporter l’Oscar du meilleur réalisateur pour Voyage au bout de l’Enfer, son deuxième long métrage qui fait l’unanimité autour de lui. Le succès est tel que le cinéaste se voit confier carte blanche pour son film suivant.

Le résultat sera dantesque : projet pharaonique, tournage interminable, campagne de presse désastreuse alors que le film était encore loin d’être achevé, attaques personnelles contre le cinéaste, première sortie calamiteuse, nouveau montage en catastrophe. Et surtout, désastre financier qui entraîne la faillite de la United Artists et qui brise net la carrière d’un des cinéastes les plus prometteurs et les plus talentueux de l’époque.

L’Amérique de l’injustice sociale

Les attaques furent de plusieurs ordres. D’abord, bien entendu, la cible fut l’histoire racontée. Le scénario s’inspire de la Johnson County War, authentique épisode historique remanié par Cimino. Le réalisateur dresse alors le portrait peu glorieux d’une Amérique fondée sur l’injustice sociale. « Ce pays est dangereux quand on est pauvre », dira un des personnages. Cimino nous montre ce qu’il convient d’appeler une lutte des classes, où des riches tout-puissants, ayant le soutien des dirigeants politiques, refusent non seulement le partage des richesses, mais aussi l’accession à leur statut. Les classes sociales sont hermétiquement closes et se reproduisent entre elles (les enfants de riches vont à Harvard où ils apprennent à diriger le pays).

En cela, c’est tout le mythe du Rêve Américain que Cimino réduit à néant. Non, il n’est pas possible, lorsque l’on est pauvre, de devenir riche et de réussir socialement. Les cloisons sociales sont closes. Pire ! Les pauvres dérangent, on lance contre eux toutes sortes d’accusations : ils sont sales, ce sont des voleurs et des anarchistes. Avec beaucoup d’intelligence, Cimino ne dresse pas non plus un portrait idyllique de ces foules immigrées. Oui, il y a parmi elles des voleurs et des fauteurs de troubles, mais rien ne justifie l’attaque criminelle qui leur est opposée.

Personnages ambigus

Une des critiques contre le film concernait les personnages. Il est vrai qu’une des forces de La Porte du Paradis est d’échapper au manichéisme primaire et de proposer des caractères ambigus, impénétrables car constamment vus de l’extérieur. Cette volonté de ne pas tomber dans la caractérisation psychologique fait que son film n’a pas, à proprement parler, de héros, ce qui, dans un western, est particulièrement novateur. Une preuve de plus que Cimino parvient à la fois à employer les codes du genre et à les détourner avec intelligence et originalité.

James Averill (Kris Kristofferson) n’est ainsi pas le grand défenseur du droit et de la justice que l’on voudrait voir. Il apparaît avant tout comme un homme seul. « Je ne te connais pas. Personne ne te connaît », lui dira Ella (Isabelle Huppert). Rejeté par les riches qui voient en lui un traître à sa classe sociale, pas vraiment accepté par les pauvres qui ne comprennent pas pourquoi il n’agit pas plus tôt, il est complètement isolé. Seul dans ce train qui l’emmène au Wyoming, seul dans les grandes plaines, seul sur le bateau dans cette scène finale extraordinairement émouvante, il est celui qui n’appartient à aucune classe, à aucun camp.

Son attitude face aux événements reflétera cette ambiguïté sociale. Manifestement révolté par la décision de l’Association de financer l’assassinat de 125 immigrés, il ne va cependant pas agir, même lorsqu’il apprendra qu’Ella, sa « fiancée », est sur la liste noire. Procrastination, refus de s’opposer frontalement à ses anciens camarades de Harvard, fatigue générale, volonté de fuir, les raisons possibles sont multiples, mais rien n’est dit avec clarté et certitude. Cimino privilégie des personnages complexes et inexplicables.

Epopée moderne

Avec La Porte du Paradis, Michael Cimino réalise une épopée à la fois classique et moderne. Avec son alternance entre scènes de foule et d’intimité, entre action et mélancolie, le cinéaste ménage un rythme idéal. Malgré sa longueur, le film n’ennuie pas un seul instant. Les éléments indispensables au genre sont présents : amour, paysages splendides, fusillades, cavalerie, casting impressionnant, magnifique musique. Le spectacle est total, et tout y est maîtrisé, des cadrages à la musique.

Mais Cimino cherche également à s’affranchir des codes du genre. Par la virulence de son attaque politique, par son refus systématique de reprendre le mythe de la fondation de l’Amérique, par sa violence permanente, par sa façon inédite de filmer les foules prises dans un mouvement constant (que ce soit pour danser ou pour se tirer dessus), La Porte du Paradis est un film novateur, dont le regard désabusé ne pouvait pas être accepté par les Etats-Unis de Reagan. Ce n’est qu’avec le recul, et grâce à la copie restaurée sortie il y a quelques années, que ce film a pu prendre la place qui lui est due, celle d’une des œuvres les plus belles et les ambitieuses du cinéma américain.

La Porte du Paradis : Bande annonce

La Porte du Paradis : Fiche technique

Titre orignal : Heaven’s gate
Scénario et réalisation : Michael Cimino
Interprétation : Kris Kristofferson (James Averill), Isabelle Huppert (Ella), Christopher Walken (Nate Champion), John Hurt (William Irvine), Sam Waterston (Frank Canton), Brad Dourif (Mr. Eggleston), Jeff bridges (John L. Bridges), Joseph Cotten (The Reverend)…
Montage : Lisa Fruchtman, Gerald Greenberg, William Reynolds, Tom Rolf
Photographie : Vilmos Zsigmond
Musique : David Mansfield
Décors : James Berkey, Josie MacAvin
Costumes : J. Allen Highfill
Production : Joann Carelli
Société de production : Partisan productions
Société de distribution : United Artists
Budget : 44 millions de dollars
Durée : 216 minutes
Genre : western, drame
Date de sortie en France : 22 mai 1981

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