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Joy, un film de David O. Russell : Critique

Depuis l’excellent The Fighter, David O. Russell est plutôt apprécié à Hollywood et aux cérémonies des Oscars, s’étant assez vite imposé comme un directeur d’acteurs impeccable qui sait à coup sûr déceler le talent et offrit même à certains leurs meilleurs rôles comme pour Jennifer Lawrence et Bradley Cooper qui semblent tout deux être devenus son duo fétiche.

Synopsis : Inspiré d’une histoire vraie, JOY décrit le fascinant et émouvant parcours, sur 40 ans, d’une femme farouchement déterminée à réussir, en dépit de son excentrique et dysfonctionnelle famille, et à fonder un empire d’un milliard de dollars. Au-delà de la femme d’exception, Joy (Jennifer Lawrence) incarne le rêve américain dans cette comédie dramatique, mêlant portrait de famille, trahisons, déraison et sentiments.

Conflits familiaux 

Le cinéaste aime vraiment travailler avec les mêmes personnes dans un même registre cinématographique mais sa formule et son style s’effritent au fur et à mesure de ses œuvres car à toujours faire les mêmes choses, son cinéma commence sérieusement à manquer de renouvellement et attire les détracteurs, les avis sur ce film n’étant pas vraiment tendres. Mais s’imposant par certains aspects comme son film le plus ambitieux, est-ce que Joy parvient à renouveler le cinéma de l’auteur ou au contraire fait-il plonger celui-ci dans la caricature de lui-même ?

O. Russell ne s’est toujours intéressé qu’à une chose, les conflits internes, ce qui peut bien amener une groupe de personnes, réunies par les liens du sang, leurs devoirs ou encore une passion, à se détruire, se manipuler, tirer profit des autres, menant généralement à des scènes de confrontations intenses sous forme de joutes verbales. Rarement les conflits se traduiront par une forme physique, tout passe par le dialogue. Et c’est un aspect de son cinéma qui gagne de plus en plus d’importance au fil de ses œuvres au point de prendre le pas sur la narration. Ceci devenait un peu le défaut de ses deux précédents films, Silver Linings Playbook  et American Hustle, sans pour autant prendre des proportions envahissantes mais suffisamment pour être alarmant quant à la suite de sa filmographie. Car cette fois-ci, cela devient véritablement un handicap. La première partie est noyée sous les problèmes familiaux de l’héroïne sans que quelque chose ne vienne contrebalancer tout ça. L’histoire a beau être inspirée de faits réels, on sent que parfois O. Russell en rajoute et ce dès la deuxième scène qui part très vite dans la scène de dispute hors de proportion et téléphonée qui laisse augurer le pire pour la suite. La première heure de film se montre donc assez laborieuse et il est difficile de se passionner pour le parcours du personnage, l’ensemble va prendre une structure non linéaire pour insérer des flash-backs et expliquer son histoire et sa personnalité, à elle et à ceux qui l’entourent, en usant d’une voix-off agaçante et qui ne se justifie absolument pas. D’ailleurs durant cette partie du récit, le cinéaste va s’amuser à faire un parallèle peu subtil et grossièrement amené entre la vie de famille de Joy et les soap opéras que regarde sa mère, ce qui fait un remplissage inutile surtout que ce genre de scènes revient à plusieurs reprises pour apporter à chaque fois le même message.

Néanmoins un miracle va s’opérer en cours de route, le film faisant le choix d’élaguer un certain nombre de personnages inutiles pour se concentrer sur la conception de la « serpillière magique », la manière dont Joy va devoir la vendre et les obstacles sur sa route. Devenant une success story certes plus classique, l’ensemble gagne cependant un nouveau souffle parvenant même à susciter l’intérêt et à donner envie de connaitre le fin mot de l’histoire. Même les conflits familiaux gagnent en puissance avec la manière dont Joy est exploitée par son père, sa nouvelle belle-mère et sa belle sœur. Les dialogues deviennent plus acerbes et vifs et on se sent impliqué dans les événements, se surprenant même à être aussi révolté que le personnage. De plus tout ce qui entoure la télévision et le télé-achat est plutôt bien géré, le personnage incarné par Bradley Cooper apporte une touche de fraîcheur et une pointe d’humanité bienvenue qui relance, ou plutôt lance, vraiment la machine. Dans cette deuxième partie, O. Russell va même arriver à éviter à peu près tous les pièges que l’on trouve habituellement dans les biopics, évitant l’habituel panneau en début de générique de fin pour nous dire ce que son devenu les personnages, et misant sur une utilisation habile du flash-forward.

Le casting sert à merveille l’ensemble, comme toujours O. Russell s’impose comme un directeur d’acteurs hors pair et ici chaque acteur offre une excellente prestation. Malgré son jeune âge, Jennifer Lawrence parvient à être convaincante dans ce rôle de mère de famille épuisée par la vie. Elle fait preuve d’une profondeur de jeu et d’une maturité admirable et signe probablement son meilleur rôle. On retiendra aussi Édgar Ramírez, discret mais touchant, Robert de Niro, impeccable, mais on est surtout impressionné par Isabella Rossellini, farfelue comme jamais et absolument géniale. Sans parler de Bradley Cooper, encore une fois parfait, arrivant à faire transparaître toute l’humanité et la compassion de son personnage par la seule force de son regard.

La mise en scène de David O. Russell est globalement très réussie et maîtrisée mais a tendance à se montrer un peu sage. Comme toujours le cinéaste offre de belles images et des plans très travaillés servis par une photographie léchée et souvent accompagnés d’une sélection musicale qui flatte les oreilles mais son style reste quand même classique et esthétiquement très simple. Même si ici il tente quelques phases plus allégoriques, notamment quand il se plonge dans les rêves et les souvenirs de son personnage mais il ne va pas au bout de ses expérimentations. Sinon le montage est plutôt bien agencé et offre au film un rythme soutenu ; malgré la première partie qui laisse perplexe on ne s’y ennuie pas, les scènes s’enchaînant avec fluidité.

Joy est un film plaisant et qui sait se faire apprécier mais il impose clairement une limite dans la filmographie et le style de son auteur. La première heure se fait souvent douloureuse et apparaît comme une caricature de ce à quoi nous a habitué le cinéaste, ayant probablement plus de liberté en raison du succès de ses précédents films, il peine à s’imposer des limites pour contenir ses frasques. Cependant David O. Russell reste un cinéaste qui a un certain talent et il arrive très nettement à redresser la barre de son film pour offrir une success story certes attendue mais qui s’extirpe néanmoins admirablement du carcan des biopics académiques. Une certaine radicalité et énergie se dégage de l’œuvre qui se montre comme son personnage, insoumise, ce qui la rend admirable. Surtout que le tout est servi par des acteurs exceptionnels et de vrais moments de cinéma.

Fiche technique : Joy

Etats-Unis – 2015
Réalisation : David O. Russell
Scénario : David O. Russell et Annie Mumolo
Interprétation : Jennifer Lawrence (Joy Mangano), Bradley Cooper ( Neil, un cadre de QVC), Robert De Niro  (Rudy Mangano, le père de Joy), Édgar Ramírez (Tony Miranne, l’ex-mari de Joy ), Isabella Rossellini (Trudy, la petite-amie de Rudy et financier de Joy)…
Décors : Judy Becker
Costumes : Michael Wilkinson
Montage :Jay Cassidy
Photographie : Linus Sandgren
Production : John Davis, Megan Ellison, John Fox, Jonathan Gordon et Ken Mok
Société de production : Annapurna Pictures et Davis Entertainment
Société de distribution : Fox 2000 Pictures

Rédacteur LeMagduCiné