interstellar-critique-film-christoper-nolan

Interstellar, un film de Christopher Nolan : Critique

Interstellar, une épopée spatiale retorse perdant malheureusement en lisibilité

Synopsis: Dans un futur proche sur une Terre exsangue, un groupe d’explorateurs utilise un vaisseau interstellaire pour franchir un trou de ver, récemment découvert, pour parcourir des distances jusque-là infranchissables et trouver une nouvelle planète habitable à coloniser pour l’humanité.

Nous sommes au Gaumont Marignan, en plein cœur de Paris, sur les mythiques Champs-Élysées. En ce Jeudi 30 Octobre, la tension si ce n’est l’excitation monte d’heures en heures, alors que la ville retient son souffle en attendant la venue du metteur en scène de l’œuvre la plus attendue de l’année : Interstellar de Christopher Nolan.

Une tension qui finit par atteindre son paroxysme, lorsque l’intéressé, vêtu d’un simple costume, loin des excentricités vestimentaires d’un Quentin Tarantino ou du sourire jovial d’un Steven Spielberg fait son apparition. De sa démarche et son sérieux quasi de marbre, on ressent déjà que l’homme derrière la renaissance aussi bien critique que public du héros de comic Batman, est quelqu’un d’humble. Quelqu’un de réfléchi aussi. Le genre de metteur en scène avec la tête sur les épaules, les idées en place et surtout le plaisir de se mêler à ses fans, avec la même décontraction et le même sérieux qu’il a derrière une caméra IMAX.

Invité d’une master class aux airs de subterfuge pour désépaissir le mystère entourant son dernier long-métrage, Nolan, loin d’être dupe, entretient le mystère jusqu’au bout en répondant de manière subtile voire absconse, aux questions d’un Fabrice Leclerc, rédacteur en chef de Studio Ciné Live, à la fois décontenancé et émotif de se voir si proche d’un metteur en scène qu’il n’hésite pas à qualifier « comme l’un des plus doués de sa génération ».

Un metteur en scène, qu’il souhaite comprendre et percer à jour en posant d’emblée une question aussi épineuse que symbolique et empruntant autant à une délectation proche du voyeurisme qu’à un réel souci d’information :

« Qu’est-ce que le cinéma ? »

Voyeurisme ? Vraiment ? Sous cette question à première vue anodine, quasi sempiternelle quand on s’adresse à un grand ponte du 7ème art, subsiste en effet un relent de mystère et d’intimité ; en somme la question sensée révéler la madeleine de Proust du géniteur de Memento, celle sensée explorer l’enfance et l’inspiration de la personne qui a décidé de consacrer sa vie à un art, et qui au moment de la supposée consécration, se doit de donner une réponse personnelle, loin des clichés rabattus ou s’entrechoquent les défendeurs des Méliès, des Chaplin ou des Keaton, et les nostalgiques de l’image en mouvement.

L’intéressé, non sans une pointe de surprise et un petit sourire esquissé en coin répondra alors de manière concise et rapide : « Le cinéma est pour moi une expérience, un ressenti. C’est une expérience de l’écran, propre à l’écran et seulement à l’écran, et qu’aucune page, aucune partition, aucune photo ne serait à même de rendre».

Christopher Nolan : le nouveau Kubrick ?

Expérience et Ressenti.

2 mots à la fois anodins et espérés, symbolisant autant la quête ultime de tout réalisateur souhaitant voir leur film ébranler les sens de celui qui le regarde, que le cheminement tracé dans l’esprit du réalisateur d’Insomnia. Un cheminement, qui aux yeux des références l’ayant poussé à sauter dans le bain de la réalisation (de ses aveux, 2001 l’Odyssée de l’Espace et Star Wars), rend compte de sa volonté à transformer ses films en voyage, empruntant aussi bien à la contemplation qu’aux sens et voguant vers des destinations, extraordinaires et éclectiques, allant des méandres torturés de l’esprit d’un amnésique (Memento) à l’ego et les coups-bas des prestidigitateurs (Le Prestige).

Ainsi tout est dit. Nolan, loin de courir après la renommée ou le profit (en atteste son refus de la 3D pourtant manne financière non négligeable des films hollywoodiens), se veut comme le successeur des Lucas, Spielberg ou autre Kubrick, metteurs en scènes ayant su au travers de leurs œuvres respectives, toucher du doigt la définition même du cinéma, à savoir divertir mais aussi faire naître le mouvement, faire voyager.

Pour autant, la comparaison avec Kubrick est davantage perceptible. Partageant avec son illustre ainé, l’attachement à une technologie dualiste, faite d’utilisation de vieux composants, tels que le format pellicule et de nouveaux procédés comme le recours aux nouvelles technologie (les effets spéciaux pour le premier, les caméras IMAX pour le second), Nolan s’impose comme un candidat de poids dans l’héritage kubrickien, tant la froideur inhérente de ses longs-métrages trouve souvent concordance avec l’esthétisme et le maniérisme formel du réalisateur de Shining.

Une froideur et un sens de l’image ne constituant pas leurs seuls points communs. Tous deux partageants, en effet un gout prononcé pour les scénarios alambiqués et ouverts à de multiples interprétations. Il suffit de voir la fin de 2001 l’Odyssée de l’Espace, afin de se demander le sens et l’identité de ce fœtus volant en orbite autour de la terre, et l’incessante question trottant dans les esprits des personnes ayant vu Inception, se demandant si la toupie de Leonardo DiCaprio tombe ou ne tombe pas, pour oser la comparaison.

Une comparaison qui n’aura de cesse de croître à la vue des œuvres respectives des deux hommes, apparaissant au fil du temps comme emplis des mêmes objectifs : conjuguer expérimental et populaire, émotions et abstraction, douceur et puissance, vertige et irrationnel.

Et Interstellar, dernière réalisation en date du réalisateur britannique, n’est pas près de changer la donne. Fort d’images émanant un doux parfum d’inconnu, de grandeur et de cosmos, le film témoigne déjà du projet le plus personnel, le plus épique et le plus ambitieux qu’il ait été permis de voir de la part de son auteur. Un projet, qui dans sa construction et son ambition sonnent comme un décalque d’Inception. A tel point qu’une question récurrente revient sur les lèvres après le visionnage : Interstellar ne serait-il pas simplement Inception dans l’espace ?

Interstellar : Inception dans l’Espace ?

Constat réducteur me direz-vous. Comment rapprocher une œuvre cérébrale complexe, retorse et sinueuse, d’une épopée cosmique, aux airs de films catastrophes ? Comment rapprocher une œuvre fermée sur elle-même agissant telle un huis-clos d’une œuvre s’engouffrant dans l’infini de l’espace ?

Outre le peu de lettres qui séparent Interstellar d’Inception, le geste reste le même, à savoir ébranler tout un pan du genre cinématographique. Inception l’avait fait à sa manière, en mélangeant le film de casse, genre du passé avec les prémices d’un concept SF, genre du futur, tout en faisant intervertir dans une rythmique bien rodée, le temps, l’espace et même la gravité. On y voyait ainsi des faubourgs parisiens se retourner, des montres s’arrêter, des temporalités s’accélérer ou ralentir, attestant déjà de la maitrise formelle de son auteur sur son sujet.

Interstellar quant à lui ose proposer la même chose, alterner le genre du passé avec le genre du futur mais dans des proportions différentes, usant ainsi de pléthores de théories scientifiques dont l’espace renferme, à l’instar des trous noirs, des trous de ver, de la gravité pour appuyer son propos SF. Un propos auquel le réalisateur décide d’adjoindre un volet dramatique insoupçonné, quoique facilement décelable au vu des trailers, conjuguant ainsi les effusions doudou auteurisantes et mélodramatiques d’un Spielberg avec la froideur clinique d’un Kubrick, pour un résultat faisant presque penser à un film d’amour…

Le ciel comme exutoire

Interstellar s’ouvre sur un plan curieux, si ce n’est anecdotique. Un travelling lent, sur une bibliothèque empoussiérée, comptant sur ses étagères moult chef d’œuvres du 6ème art allant de Faulkner à Steinbeck, 2 auteurs ayant eu pour ambition de dépeindre à travers leurs lignes l’Amérique profonde, l’Amérique rurale, la vraie, loin de celle ou les banquiers et la technologie s’entassent dans une exiguïté urbaine délirante.

Pour l’homme ayant toujours de près ou de loin fait situer ses intrigues dans des décors urbains, où la géométrie ambiante définissait par extension l’aspect rigoureux et donc froid de l’ensemble, c’est curieux mais non dénué d’intérêt et de pertinence. Puisque encore une fois, à travers ce prisme d’un passé presque révolu, Nolan s’attaque au temps. Une variable qu’il n’a eu de cesse d’étirer, de condenser, de dérouler, pour servir les intrigues de ses films.

Or dans le cas d’Interstellar, ce dernier est compté. La Terre, ici représentée par une ville rurale du Midwest, est à l’agonie. Balayée par des vents de poussières ayant eu raison des cultures, elle guette sa fin avec appréhension et voit ses habitants organiser leur survie. Dans ce microcosme ressemblant à s’y méprendre aux prémices d’un film catastrophe, l’influence des médias en moins, on y retrouve Cooper (Matthew McConaughey) ancien pilote de la NASA reconverti en agriculteur, faute de mieux. Les pieds sur terre et la tête dans les étoiles, voilà la paradoxale condition dans laquelle il évolue, lui qui jadis tutoyait les cimes des nuages, et doit aujourd’hui regarder ses pieds dans la poussière non sans une grosse amertume.

Survivre au détriment de vivre. Telle est son mantra, sa profession de foi, l’idéal de vie qu’il s’est fixé alors qu’il voit les fondements de la société se désagréger sous le poids de cette fin du monde impossible à stopper. Pourtant, ce dernier est cultivé. Pessimiste mais cultivé. Une culture, qui aura raison de sa participation à la mission de la dernière chance, lorsqu’au hasard d’un fait qualifié plus tard de surnaturel, il découvre une base secrète de la NASA, abritant un vaisseau spatial en partance pour un trou de ver, phénomène astronomique rarissime, permettant de se téléporter dans le temps et l’espace et parcourir des distances jusque-là infranchissables de vie d’homme. L’occasion ainsi de concrétiser le rêve de cette humanité mourante, à savoir trouver une planète de substitution pour faire perdurer le genre humain.

Nolan l’amoureux

L’humain. Une notion, la plupart du temps absente des longs-métrages du metteur en scène. Non pas de manière physique, mais de manière émotionnelle. Ses films, plastiquement réussis, se cognait en effet à une froideur rare, directement tirée d’une ambiance voulue comme atone ou d’un concept ayant eu raison de l’humanité des protagonistes étant plongés dedans. A croire que l’hommage qu’il voue à Kubrick depuis sa plus tendre enfance, avait eu raison de son souhait d’expérimentateur. Pourtant, là où on peinait difficilement à cerner l’enjeu humain de ses précédentes réalisations, c’est presque avec une facilité déconcertante qu’on le décèle dans Interstellar. A croire que Nolan se serait assagi.

Délaissant le maniérisme cérébral de Memento, Nolan surprend. A l’instar d’un Spielberg, ses héros loin de la sophistication d’un Bruce Wayne ou d’un Dom Cobb, sont ordinaires. Une famille, comprenant des enfants en plein éveil, un père découragé et un grand-père presque alarmiste, placé devant un funeste destin. Une échappatoire aux airs de chevauchée fantastique, rendant ainsi l’humain la pièce maîtresse du film, qui pour une fois est poussé dans ses retranchements les plus intimes, comme lors d’un moment poignant ou Cooper comprend la notion de relativité, et l’impact qu’à cette notion sur le temps qui se déroule sur Terre.

Mais trop d’humain tue l’humain. A force de vouloir imprégner cette épopée cosmique d’un sentiment humain, terre à terre, quasi simpliste, tout en le confrontant à une vision trop complexe pour être appréhendée, Nolan en vient à perdre son spectateur, ce dernier tentant désespérément de comprendre le récit au gré de sentiments des personnages, qui s’ils sont cohérents, n’en demeurent pas moins indigents et larmoyants. Pire, il se joue de lui en lui ayant vendu un trip spatial dans la lignée d’un Gravity ou d’un 2001, alors que dans le même temps, celui-ci se sert de concepts SF ardus pour sacraliser l’amour, le seul sentiment d’après lui quantifiable, capable de se mouvoir à travers le temps et l’espace.

Ne reste alors que le sentiment de voyage accompli et le soin visuel apporté à l’ensemble pour pleinement apprécier cette épopée humaine incroyable oscillant entre space-opera, film catastrophe, physique quantique et drame familial. Images conférant dans une dernière partie retorse, le réel souhait de Nolan, à savoir faire un film dont le ressenti prime sur la compréhension, un peu comme un Kubrick dans ses années fastes.

C’est culotté et ambitieux, mais ça l’est sans doute un peu trop.

Bande-annonce: Interstellar

Fiche Technique: Interstellar

Date de sortie: 5 novembre 2014
États-Unis – 2014
Réalisation: Christopher Nolan
Scénario: Jonathan Nolan, Christopher Nolan
Interprétation: Matthew McConaughey (Cooper), Anne Hathaway (Dr Amelia Brand), Michael Caine (Pr Brand), John Lithgow (Donald), Jessica Chastain (Murphy Cooper adulte), Casey Affleck (Tom Cooper adulte), Mackenzie Foy (Murphy Cooper enfant), Wes Bentley (Doyle), David Gyasi (Romilly), Timothée Chalamet (Tom Cooper enfant), Topher Grace (le collègue de Murphy Cooper), David Oyelowo (le principal), Collette Wolfe (Mme Kelly), William Devane (Tom Cooper âgé), Ellen Burstyn (Murphy Cooper âgée), Matt Damon (Dr Mann)…
Durée: 2h50
Genre: Sy-fi
Image: Hoyte van Hoytema
Décor: Nathan Crowley
Costume: Mary Zophres
Montage: Lee Smith
Musique: Hans Zimmer
Producteur: Emma Thomas, Christopher Nolan, Lynda Obst
Distributeur: Warner Bros Pictures France

Rédacteur LeMagduCiné