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Inland Empire de David Lynch – Critique du film

Inland Empire, représente l’apogée du travail de Lynch, d’un point de vue de la réflexion de l’âme, de la description du jeu permanent entre le réel et le subconscient, et bien d’autres thématiques évoquées dans sa filmographie.

Ce film est en quelque sorte, la suite de la réflexion de Lynch menée durant toute sa filmographie. Nous nous plongeons dans une atmosphère où une actrice pense s’épanouir dans un monde qu’elle pense être réel, le cinéma. Mais nous comprenons au fur à mesure que celui-ci ne s’oriente que vers un monde fictif, où le superflu des codes sociétaux nous entraîne dans ce fameux « Empire Intérieur ». Nous suivrons ainsi cette lutte intérieure de l’actrice (si elle est réelle) dans différents mondes afin qu’elle puisse surmonter ce dilemme interne.

Bien sur ce film reste assez élitiste, dans le sens où les personnes qui peuvent apprécier cette œuvre, seront très majoritairement, celles qui ont vu les grands classiques de la filmographie « lynchienne ». Ainsi, il n’est vraiment pas conseiller de regarder Inland Empire si c’est votre premier film de Lynch ou encore se lancer dans les 3 heures de ce long-métrage si vous n’avez pas apprécié Mulholland Drive et Lost Highway qui sont des œuvres qui présentent plusieurs similitudes avec Inland Empire.

Mais pour ceux qui aiment Lynch, et qui n’ont jamais encore osé se lancer dans Inland Empire, il serait grand temps de se racheter en contemplant l’aboutissement du travail d’un génie. Dans cette œuvre on retrouve ainsi l’angoisse de Eraserhead, la souffrance interne de Elephant Man, la complexité de l’interprétation du subconscient de Lost Highway et bien sur le trouble des personnalités perdues dans des rêves ou cauchemars que l’on peut distinguer dans Mulholland Drive.

Inland Empire se positionne finalement comme la pièce manquante du puzzle de Lynch. Tant il continue de pousser sa réflexion sur toutes les thématiques soulevées dans sa carrière. De plus, on pourrait penser que ce film est beaucoup plus complexe à interpréter que les autres films de Lynch, mais finalement pas du tout. Inland Empire reste tout de même assez explicite surtout sur la fin qui nous fait clairement comprendre le but de cette œuvre. Regarder IE c’est aussi apprendre à mieux connaître Lynch et à répondre à certaines interrogations que l’on aurait pu avoir dans Mulholland Drive ou Lost Highway.

Avant de commencer l’analyse même de cette œuvre, il est nécessaire pour ceux qui souhaiteraient voir ce Lynch, d’énumérer les diverses thématiques de cette œuvre : l’existentialisme, la recherche de la compréhension de l’inexplicable ambiant que chacun peut ressentir dans son existence, la frontière entre le conscient et le subconscient, le rôle de la sexualité dans ce processus, la valeur de la vie, la définition des codes de la haute société et pourquoi pas la réincarnation. La citation de toutes ces thématiques est une déduction vraiment subjective, tant il est possible de trouver de multiples sujets abordés tout au long de ce film très complexe à analyser, mais qui se situe sans doute au-dessus de tous les grands classiques de Lynch…

On suivra tous ses sujets dans trois scènes qui au début de l’œuvre, n’ont pas forcément de connexions directes. De la main d’une téléspectatrice inquiète et troublée par ce monde interne, sa télévision va nous proposer quatre programmes. Sur la première chaîne on découvrira une prostituée avec son proxénète, en Pologne. S’en suivront un enchaînement de multiples drames et retournement de situation. Cette chaîne, c’est en quelque sorte le cauchemar de la téléspectatrice. Là où le sexe est perdu de sens et où l’humain ne compte plus. Sur la deuxième chaîne, on découvrira des sortes de personnages de dessin animé. On y trouvera un ménage de lapins. Lorsque l’on voit cette scène pour la première fois, on comprend bien que Lynch cherche à pousser jusqu’à ses dernières limites son style cinématographique. Cette chaîne sera celle de l’irréel, de la tentative de la compréhension de l’inexplicable. Et on peut également discerner une critique implicite d’un monde un peu trop standardisé, qui n’ose pas aller au-delà des limites fixées (à l’image de Lynch qui fait tout l’inverse dans cette scène).

Un des lapins est interprété par Naomi Watts, drôle de rôle après sa performance dans Mulholland Drive. Enfin, la 3ème chaîne qui est celle sur laquelle la téléspectatrice s’attardera le plus c’est la montée d’une actrice d’Hollywood, propulsée au rang de Super Star. Nous pourrions appeler ce programme comme étant le présent, puisque les faits se déroulent en 2006-2007. On distingue ainsi une personne qui devant sa télé contemple la réalité, les différentes structures de notre société, et surtout celle de la haute société. Bien que l’on soit dans le réel, on a l’impression que l’actrice principale n’est qu’une entité inventée pour incarner « l’American Dream ». Puisque on finit par se demander si notre subconscient ne nous projette pas une image fictive de la réalité, et ne nous brouille pas les pistes sur la partie subconsciente qui pourrait être la réalité. Oui cette dernière phrase peut paraitre étrange, mais c’est vraiment le sentiment que l’on distingue plus le film progresse. A l’image des scènes où elle s’adresse à un psychologue impartial qui juge ses dires d’un calme assez stupéfiant. En outre, on verra que derrière la façade de l’American Dream, la vie de chacun est finalement semblable. Comme en témoigne cette scène, où l’actrice agonisant sur la rue des étoiles, où l’on distingue trois personnes qui discutent de la vie en général sans être touchées par le destin de cette femme mourante. Ensuite, ce qui est très agréable dans cette œuvre, c’est que chacun sera apte à tirer ses propres conclusions sur les connexions de ces trois chaines de télévision. Certains verront des conflits distincts qui doivent être affrontés les uns après les autres, d’autres verront des connexions évidentes entre ces programmes ou encore quelques uns pourront penser que la première et deuxième chaîne ne sont que des projections de la troisième chaîne. Une chose reste certaine, ces trois chaînes ont un point en commun chercher l’explication, la vérité de ce monde intérieur.

Concernant la réalisation de Lynch, on doit tout de même avouer qu’il est très compliqué de rentrer dans son « trip ». Bien que l’ouverture soit exceptionnelle, la façon de filmer les acteurs, la manière d’utiliser les couleurs, le choix de flouter pour mieux troubler sont des éléments assez atypiques. Mais, dès que l’on s’est initié à cet empire, on n’attend qu’une seule chose à savoir une nouvelle prouesse technique de Lynch, pour épater le spectateur certes, mais surtout très utile pour appuyer sa réflexion. Si l’on devait citer une seule scène vraiment à couper le souffle dans cette œuvre, ce serait la première scène au bout de deux heures de film que les trois mondes ont une connexion bien distincte, où l’on passe de la première chaîne, à la deuxième puis à la troisième pour aboutir sur une chaîne peut-être supplémentaire, sans doute une quatrième chaîne que l’on pourrait appeler la conséquence. Le moment de transition qui dure environ 10 secondes est esthétiquement parlant, parfait.

Mais voilà, Inland Empire a également certains défauts malgré ces innombrables qualités. Tout d’abord comme cité précédemment, Lynch pour l’un de ses dernières œuvres, s’adresse à un public élitiste, les « Lynchiens » si on devait les nommer. Ce n’est pas comme Mulholland Drive où l’on peut plus facilement comprendre les objectifs et les messages codés de ce film. De plus, la seconde critique serait sur le casting assez décevant pour une telle structure cinématographique. L’actrice principale sur-joue beaucoup à certains moments et les autres acteurs n’ont aucun charisme particulier. C’est peut-être aussi volontaire de la part de Lynch pour mieux se concentrer sur l’histoire. Mais, cela reste quand même assez étonnant, lorsque l’on compare les prestations des actrices dans Mulholland Drive qui portent littéralement le film et sont totalement imprégnées par l’histoire, Naomi Watts interprète d’ailleurs un rôle plus que secondaire, et Laura Elena Harring ne joue absolument pas ici sous son « vrai visage », puisqu’elle est un lapin.

Pour conclure, on pourrait dire que les trois caractéristiques nécessaires pour aimer ce film sont les suivantes : 1) aimer Lynch 2) connaître un peu sa filmographie 3) aimer se perdre dans une réflexion qui parait parfois vide de sens. Avec ces caractéristiques réunies vous aurez toutes les chances d’apprécier la découverte de cet Inland Empire.

Synopsis : En Pologne, une femme regarde une série télé où les personnages ont des têtes de lapin. En Californie, l’actrice Nikki Grace reçoit la visite d’une voisine qui lui annonce des choses étranges : elle va obtenir le rôle qu’elle escompte dans le film On high in Blue tomorrows, mais elle devra tourner des scènes très différentes de ce que le script laisse entendre…

Fiche technique : Inland Empire

Réalisation: David Lynch
Scénario: David Lynch
États-Unis – 2006
Date de sortie France: 7 février 2007
Durée: 172 mn
Genre: Drame
Avec Laura Dern (Nikki Grace / Susan Blue), Justin Theroux (Devon Berk / Billy Side), Jeremy Irons (Kingsley Stewart), Harry Dean Stanton (Freddie Howard), Karolina Gruszka (La Jeune Fille Perdue), Jan Hench (Janek), Krzysztof Majchrzak (Le Fantôme), Grace Zabriskie (La Visiteuse N°1), Ian Abercrombie (Henry Le Majordome), Karen Baird (La Domestique), Bellina Logan (Linda), Amanda Foreman (Tracy).
Montage: David Lynch
Photo: Odd-Geir Saether
Décors: Melanie Rein
Son: David Lynch
Musique: David Lynch, Krzysztof Penderecki, Angelo Badalamenti
Costumes: Heidi Bivens, Karen Baird
Maquillage: Michelle Clark, Duke Cullen
Directeur artistique: Christina Wilson

Note: (Inland Empire est un quartier de L.A.).

Auteur : Adrien Lavrat