Retrospective David Fincher: le mastermind d’Hollywood

Il a relooké le thriller avec Seven, offert à Brad Pitt ses rôles les plus marquants avec Fight Club et Benjamin Button et transformé Daniel Craig en infatigable reporter dans Millenium. Forcément, il ne pouvait que nous plaire. Focus sur l’âme la plus tourmentée d’Hollywood : David Fincher.

Des cheveux poivres et sels, une paire de lunettes cerclant des yeux fins et calculateur et un ton froid : rencontrer David Fincher est toujours une petite déconvenue en soi. Il faut dire que sous cet apparat de banquier scrupuleux se cache l’un des cinéastes les plus lucides et caustiques de son temps. Une image forcément triviale quand on la compare à sa réputation (monstrueuse), mais une image avant tout. Car David Fincher, outre d’en faire, les contrôle. Notamment la sienne. Pas question donc de le parquer dans une case, comme le font tous les journalistes. La seule image qu’on pourra tirer de l’américain sera celle qu’il veut bien laisser transparaitre : celle d’un homme secret, lucide mais surtout modeste.

Un désir palpable.

Issu d’une mère psychiatre et d’un père bourlinguant pour le compte de Life Magazine, le petit David nait en 1962. La même année que la crise des missiles de Cuba. Contraint de suivre son père, David voit du pays dès son plus jeune âge. Le Colorado d’abord. La Californie ensuite. Et finalement l’Oregon. Déplacé, déphasé, la jeunesse du réalisateur n’est donc pas aussi idyllique que pourrait l’être celle des enfants de son âge. Heureusement, et ce sans doute pour sortir de sa torpeur, il sait raconter des histoires. Mieux encore : il les filme. Dès 1970, et après le visionnage de Butch Cassidy et le Kid – de son aveu, l’un de ses films préférés-, il emprunte la caméra 8MM de son père et s’improvise réalisateur. «A star is born» comme diraient les américains. Délaissant alors les salles de cours pour celles obscures, le cinéaste en herbe commence à comprendre que sa voie est (presque) toute tracée. Ne reste qu’à faire ses preuves.
Et c’est sur les films de John Korty que le natif de Denver s’illustre. Technicien à tout faire, Fincher écume alors les plateaux de tournages, trouvant toujours une occasion de faire montre de ses capacités, que ça soit pour fignoler des décors, corriger des maquettes ou même aider au montage. Des efforts titanesques loin s’en faut, qui finissent par payer, puisque en 1980 (il a alors 18 ans), Fincher est embauché par I.L.M, la société d’effets spéciaux de George Lucas.
Au sein d’ILM, il vit un rêve éveillé : le voilà lui, le garçon du Colorado, qui travaille sur Le Retour du Jedi (1983) et Indiana Jones et le Temple Maudit (1984). De solides références, qui une fois couchées sur papier, le convaincront de tracer sa voie. Tout seul. Et c’est paradoxalement dans le milieu de la télévision (plus précisément la publicité) qu’il fait son trou. D’abord un spot de sensibilisation contre le cancer pour le compte de l’American Cancer Society, puis succès aidant, une flopée de pubs pour les plus grandes marques de l’époque : Pepsi, Levi’s, Nike ou encore Sony. De quoi l’imposer aux yeux de figures de la musique, comme le réalisateur ultime pour leur clip. Les Gipsy King (Bamboleo), les Stones (Love is Strong), Madonna, Aerosmith, Billy Idol, et même Michael Jackson, tous succombent au talent de Fincher qui se retrouve rapidement propulsé tête de gondole de la réalisation de clips outre-Atlantique. Mais le crédo de Fincher, ça n’est pas la musique, c’est le grand écran. Et après avoir vaillamment fait ses armes, le temps est venu pour lui de se frotter au cinéma avec un grand C.

Des débuts difficile.

Comble de l’audace, il choisit pour ses débuts, la grande porte. Sous la houlette de la Fox, il est ainsi chargé de mettre en boite Alien 3. Faisant fi de la pression que de passer après Ridley Scott et James Cameron, Fincher n’en démord pas. : il souhaite arriver à livrer sa version du monstre crée par H. R. Giger. Manque de pot, de nombreux désaccords entre les studios et lui émaillent le tournage et le montage. De son aveu sacrifiée, la fin du film est ainsi retournée, ce qui ne manque pas de le voir fustiger la Fox et carrément renier son travail. Et le résultat dans tout ça?  Son film, poisseux et froid en diable, mais surtout fauché, sera à la lisière de l’expérience schizophrène : il aura pu tâter les rouages d’un gros studio et confirmer son talent naissant, mais se sera surtout brûlé les ailes, quitte à faire naitre en lui un sentiment de véhémence particulièrement puissant. Plus qu’un film, Alien 3 sera alors une leçon pour l’américain. Dorénavant, son avenir se fera au détriment des studios, qu’il juge responsables de cette douloureuse expérience. Malin, il décide donc de viser moins haut pour son prochain film. Décliné par David Cronenberg, il se jette sur un scénario intitulé Se7en. Le pitch ? Deux inspecteurs que tout oppose, l’un vieux briscard aux portes de la retraite et l’autre, jeune et téméraire, se lancent sur la piste d’un serial killer adepte des méfaits calqués sur les 7 péchés capitaux. A la fois sordide et maitrisé, le film impressionne. Rugueux, haletant, poisseux, Se7en est autant un moyen pour le cinéaste de réinventer le genre, que de coucher tout son pessimisme sur l’écran. A l’arrivée, le film est un carton. Succès critique et public, Se7en se paie le luxe d’influer carrément sur les thrillers post 1995, qui conserveront, sans doute pour obtenir le même succès, cette veine noirâtre et malsaine.

Mais Fincher n’a pas le temps de se soucier du courant qu’il a généré. Courtisé de toute part, le cinéaste est en effet déjà affairé sur son nouveau projet, rendu diablement plus facile à financer depuis lors : The Game. Conçu comme un gigantesque puzzle que résout un Michael Douglas imbu de sa personne en milliardaire prétentieux et arrogant, le film est la preuve que le plus grand terrain de jeu du cinéaste demeure encore notre cerveau. Labyrinthique, nébuleux, le long-métrage éblouit encore tant par sa maitrise que son propos (subtil reflet de la vacuité de notre société où se côtoient métaphores et autres symbolisme) et semble affirmer le penchant qu’à Fincher à dessouder la société. Une manie qu’il prendra le soin d’amplifier pour ce que le grand public considère comme son indétrônable chef d’œuvre : Fight Club. Libre adaptation du roman éponyme de Chuck Palahniuk, Fight Club se veut comme un profond réquisitoire envers la société de consommation et le diktat qu’elle assène sur nos vies. La réalité est cela dit tout autre : Fincher tire à boulet rouge sur le milieu qui l’a engendré, la publicité, et se complait à perturber son spectateur, comme pour mieux l’éloigner du dénouement final, devenu référence obligée sitôt qu’on évoque les twist au cinéma. Du génie cérébral, Fincher se mue en manipulateur de renom. Un double statut qui n’efface pourtant pas l’échec rencontré en salle par le film, et qui le contraint d’accepter ce que l’on appelle dans le milieu, un film de commande : Panic Room. Récit d’enfermement doublé d’une prouesse visuelle, le film, bien qu’aidé par un casting poids-lourd (Jodie Foster, Kristen Stewart, Forrest Whitaker, Jared Leto), peine à convaincre par l’usage excessif de la forme, réduisant bien vite le fond à un huis-clos tout ce qu’il y a de plus banal. Cela dit, même si le fond peut faire défaut, le génie visuel de Fincher s’affirme et on sent l’influence de la publicité chez le cinéaste, qui n’aura de cesse de briser les murs (littéralement) pour faire s’engouffrer la caméra dans des recoins littéralement impossibles. On notera d’ailleurs que cette volonté de s’engouffrer partout le narguera. De 2002 à 2007, il tente sans succès de lever plusieurs projets : un film sur des skaters qu’il ne fera que produire (Les Seigneurs de Dogtown) et le 3ème volet de Mission Impossible, duquel il choisira de s’éloigner après qu’il ait affronté le refus de Tom Cruise de modifier des éléments du scénario. La frustration aidant, Fincher reviendra avec l’un des films les plus intéressants et anecdotiques de sa filmographie : Zodiac. Consacré au célèbre tueur de Californie ayant sévi dans les 60’s/70’s, le film est voulu comme une immense chasse à l’homme. Enquête, jeux de pistes : tout le film respire l’aura de Fincher, qui avec ce film, fait montre d’un talent d’archiviste hors du commun tout en faisant état d’une obsession pour les cadres. Tour à tour sépia, bleu métalliques ou verdâtres, ses images épousent à la perfection cette enquête poissarde et interminable, duquel, comble de l’audace, nous ne verrons jamais la fin, Fincher laissant le spectateur en sursis à l’instar de son personnage principal. Une prouesse qui sera d’ailleurs décisive pour le natif du Colorado, puisque son film est sélectionné au Festival de Cannes, au sein de la Compétition Officielle. S’il ne repartira pas avec avec la célèbre Palme, la victoire reste néanmoins totale pour lui: il a acquis la reconnaissance du milieu.

Fincher au sommet.

Désormais au sein du gotha de la profession, il peut alors se tourner vers des projets plus atypiques. Il faudra ainsi seulement attendre un an avant de le voir arpenter à nouveau, un plateau de tournage. Retrouvant Brad Pitt pour l’occasion, il décide d’adapter la nouvelle de Francis Scott Fitzgerald, L’Etrange Histoire de Benjamin Button. Ou comment voir un homme (Brad Pitt) naitre dans le corps d’un vieillard et vivre sa vie à l’envers. Autant histoire d’amour que portrait sans far d’une génération, de Pearl Harbour à l’ouragan Katrina, le film épouse encore une fois le crédo du cinéaste : visuellement magnifique et thématiquement riche. Suffisamment en tout cas pour attirer l’oeil de l’Académie des Oscars qui en fait rapidement l’un de ses favoris pour la cérémonie 2010. Nommé 13 fois, le film ne récoltera pourtant que 3 statuettes dites « techniques ». Autant dire une sacrée déception pour Fincher, qui pour la première fois concourrait à la meilleure réalisation. Mais ça serait mal le connaitre que de penser que cet échec le mettra à genoux. Mieux encore, ça va le motiver davantage. Et un an après, le voilà qui dégaine The Social Network. Narrant la fondation du réseau social Facebook par l’entremise de Mark Zuckerberg (Jesse Eisenberg) et Eduardo Saverin (Andrew Garfield), The Social Network ausculte une génération mal dans sa peau. En quête d’identité et gangrenée par l’idée d’un monde malléable et docile, la jeunesse américaine dépeinte dans le long-métrage inquiète autant qu’elle ne fascine et laisse à penser que Fincher, sans doute loin de sa zone de confort, s’est assagi. Là encore, difficile d’être encore plus à coté de la plaque. Car avant d’être un film sur Facebook, ce qu’il se défend d’avoir fait, The Social Network est un film sur Mark Zuckerberg. Autant salop au cœur de pierre que gueule d’ange, le personnage campé par Jesse Eisenberg est pour ainsi dire terrifiant et le traitement réservé par le cinéaste ne change guère le moyen de le considérer. Pour autant, force est d’admettre que le film jouit d’une indéniable maitrise. Là encore nommé à de nombreuses reprises aux Oscars, le long-métrage échouera à décrocher la statuette suprême mais se rattrapera avec le scénario d’Aaron Sorkin (Steve Jobs) et la musique de Trent Reznor et Atticus Ross, qui sauront, par leur composition, rendre compte de l’aspect 2.0 et pressée des jeunes filmés sous nos yeux. Une collaboration fructueuse qui se perpétuera sur Millénium, le nouveau projet du cinéaste, qui délocalise ses équipe en Scandinavie pour mettre en boite le récit tortueux et sordide imaginé par Stieg Larsson.

Emmenant Daniel Craig et Rooney Mara dans ses valises, le réalisateur adapte avec un fétichisme rare les tribulations de Mikael Blomqvist, un journaliste suédois mis sur la paille après un procès, et qui sous l’impulsion d’un oligarque vieillissant, se retrouve à enquêter sur la disparition d’une jeune femme tout en traquant un serial killer. Un sacré programme en somme. Heureusement, le réalisateur n’a pas perdu la main. Sombre, angoissant, quasi claustrophobe, son récit haletant est à l’image de Se7en : un nouveau jalon dans le genre du thriller. A cela près que le succès, bien que tiré d’un best-seller, soit moindre qu’escompté. D’une trilogie initialement envisagée, les studios tablent finalement pour un seul film. De quoi ronger son frein en beauté. Mais qu’importe, Fincher, lui, est déjà loin. Car le voilà prêt à à l’instar de ses pairs, à se lancer dans le bain de la télévision. Il est en effet la caution créative de la première série Netflix : House of Cards. Mettant en scène Kevin Spacey, en vieux politicien qui se rêve à hériter du poste suprême américain, la série confirme que le réalisateur n’a pas perdu son mordant, et ce, tout support confondu. Noire, moralement douteuse, ambiguë et maitrisée, la série devient rapidement un énorme succès, quitte à plaire à l’actuel président Barack Obama, qui loue l’aspect tortueux de la série mais déplore sa faculté à imaginer une intrigue aussi dynamique.
Une petite incartade qui aura eu le mérite de le faire accepter l’échec de son nouveau projet d’envergure : l’adaptation du classique de Jules Vernes, 20 000 Lieues sous les Mers. Trop cher, casting majoritairement européen (il voulait Vincent Cassel dans le rôle du Capitaine Némo), les majors refusent en bloc le projet, tant et si bien, qu’il décide, sans doute pour ne pas perdre la main, de se tourner, une fois de plus, vers l’adaptation d’un roman très en vogue aux Etats-Unis : Gone Girl. Ou l’historie d’un couple, en apparence normal, qui vole en éclat le jour où Mme disparait et que M. est désigné comme suspect n°1. Satire du mariage et des médias, le film se présente alors comme une dénonciation de l’hypocrisie d’une société américaine idolâtrant les apparences. Casting aux petits oignons (Ben Affleck remonte la pente après des années de disette et Rosamund Pike impressionne par sa froideur), réalisation tortueuse et twists à foison, le film permet à Fincher de nous balader et de nous manipuler comme il le fait si bien et laisse transparaitre, pour quiconque ne le connait pas, que son crédo, c’est l’association des images et de la pensée. Brain and pictures en somme. Pas compliqué alors de comprendre pourquoi, à défaut de le considérer comme un cinéaste de génie, la profession le préfère esthète. Car en plus de toucher nos yeux, Fincher touche nos cerveaux. Tout le timing d’un artiste en somme.