La French, un film de Cédric Jimenez : Critique

Il y a près de quarante ans, la tragique destinée du Juge Michel bouleversait la France. Ce décès sonnait comme la première étape de la chute des trafics phocéens, enterrant définitivement son réseau de filières liées à la drogue à travers le monde. Ce trafic d’héroïne d’envergure internationale communément appelé « French Connection » a inspiré nombres d’auteurs et journalistes, notamment dans l’adaptation géniale du même nom de William Friedkin (1972) porté par Gene Hackman.

Synopsis: Marseille. 1975. Pierre Michel, jeune magistrat venu de Metz avec femme et enfants, est nommé juge du grand banditisme. Il décide de s’attaquer à la French Connection, organisation mafieuse qui exporte l’héroïne dans le monde entier. N’écoutant aucune mise en garde, le juge Michel part seul en croisade contre Gaëtan Zampa, figure emblématique du milieu et parrain intouchable. Mais il va rapidement comprendre que, pour obtenir des résultats, il doit changer ses méthodes.

Dans les années 1980, Philippe Lefebvre portera même à l’écran Le Juge, film qui s’inspire de la bataille juridique menée par le Juge Michel et interprété par Jacques Perrin et Richard Borringer. Mais avec La French, c’est peut-être la première fois qu’un auteur désire accordait autant d’importance à la figure juridique et héroïque de Pierre Michel et à son combat mené face à Gaêtan Zampa, icone du grand banditisme. A la tête du film se trouve un jeune novice des grosses productions, Cédric Jimenez dont c’est le second long-métrage après Aux Yeux de Tous. Après avoir réalisé quelques documentaires et sortant du succès d’estime de son premier long-métrage, Cédric Jimenez s’est mis en contact avec le producteur Alain Goldman. Il lui a évoqué son souhait de raconter une histoire liée à ses origines marseillaises, ce dernier ayant été bercé dans ce climat de trafics et de règlements de compte. L’histoire de Pierre Michel relevait de l’évidence pour le réalisateur. C’est en compagnie de sa femme journaliste qu’il a entamé l’écriture de La French et a tourné en 2013 ce qui allait être le plus gros budget français de 2014 et assurément le film hexagonal phare de cette fin d’année. Verdict.

La renaissance du polar noir des années 70

Au fond, le film de Cédric Jimenez ne s’intéresse qu’à la partie voilée du French Connection de William Friedkin. Il met en lumière ces actions mises en œuvre par la France pour démanteler le réseau de Zampa. Marseille est présenté comme un véritable personnage du film, concentrant toute l’atmosphère de la cité des années soixante-dix. C’est un film qui met un point d’honneur à représenter ces hommes d’honneurs prêt à mettre leur vie en jeu pour mettre un terme au grand banditisme de la cité phocéenne. Récit d’un homme, le film se concentre sur le juge Pierre Michel. Dessiné selon la bonne vieille figure héroïque du polar, Cédric Jimenez ajoute cependant quelques nuances à ses protagonistes et donne au film une vision moins manichéenne que ce qu’on aurait pu en attendre. Tout n’est pas noir ou blanc dans La French. Car si l’univers judiciaire et celui de la police sont montrés en profondeur, le réalisateur mesure la portée de son film et se focalise avant tout sur  ces notions de confiance, de respect, de bienveillance qui règnent dans le milieu criminel. Si tout se termine souvent en règlements de compte, cet univers de malfrats comporte quelques règles et principes bien déterminés. Bien que survolés, on sent l’intention du réalisateur de rendre ces personnages avant tout humains. En témoigne ces nombreuses scènes d’intimité familiales qui dessinent de vrais personnages qui souhaitent, au-delà de leurs ambitions, être de bons pères de familles et des hommes tout simplement respectables. Chacun a une conception précise dans sa manière de rendre le monde meilleur. Si Jean Dujardin et Gilles Lellouche ne se croisent à l’écran qu’à deux reprises, tout le film est basé sur cet affrontement à distance qui se joue dans les filatures, les perquisitions, les écoutes téléphoniques et les coups bas pour mettre un terme au crime qui nuit gravement à l’image de Marseille. Une ville ternie par la corruption menée par Zampa, tenant la police par l’argent et la peur des représailles. Dans ce milieu, il n’y a pas de sommation et certains en feront brutalement les frais. De cet affrontement, Cédric Jimenez fait tout pour que le spectateur trouve autant de compassion chez ce jeune juge fringant que chez ce Gaëtan Zampa qui impose un profond et coupable respect lorsqu’il négocie avec conviction les frais de sa marchandises. Et tandis que le Juge Michel souhaite limiter plus que jamais les dégâts liés à la drogue, bouleversé par ses rapports avec des héroïnomanes, Zampa arbore une figure paternelle avec l’un de ses hommes lorsqu’il le pousse à tirer sur un long rail de coke, lui apprenant par la même occasion les dangers liés à ce produit. Il le dira, c’est avant tout un commerçant et jamais il ne sera amené à goûter sa marchandise. Il ne fait pas cette besogne pour le plaisir de la drogue. Il le fait pour acquérir l’argent et le pouvoir qui participe à son existence dans la ville de Marseille.

Cédric Jimenez n’a pas lésiné sur les moyens pour retranscrire fidèlement cette frénésie de la fin des années soixante-dix et la mode régnante de l’époque. Intérieurs, voiture et mêmes les plus anodins accessoires telle une bouteille de Vittel, tous ces éléments sont présents à l’écran tels qu’ils l’ont été à l’époque de la French Connection. Le réalisateur a fait le choix de tourner le film en 35mm, afin que l’image bénéficie d’un soin tout particulier pour conserver ce grain infime propre à l’époque. Et dans un souci de réalisme et d’immersion, Cédric Jimenez et son directeur de la photographie Laurent Tangy se sont arrangés cojointement pour retranscrire à l’écran plusieurs types de plans afin de rendre le film plus vivant que jamais. Les plans fixes croisent les plans-séquences à 360°. A l’inverse, les scènes d’action caméra est à l’épaule renvoient à la « shaky-cam » de Paul Greengrass. Un parti-pris audacieux qui pourra parfois déconcerté tant certaines séquences s’avèrent illisibles. Dans un autre registre, La French se pose comme un élève modèle du style à la Scorsese avec ces malfrats, ces dialogues percutants, ces scènes d’actions radicales et ce montage musical à base de rock de l’époque qui laisse progressivement dérouler quelques sonorités électroniques. Il est d’ailleurs intéressant de voir Zampa s’en prendre à son disc-jockey lorsque celui-ci passe un morceau plus marqué « synthétiseur ». Comme une manière de montrer qu’il n’arrive pas à s’adapter aux changements de la société, du marché. L’image d’un homme progressivement amené à sa perte.

A la tête de cette superproduction française se trouve un casting de haute volée. A commencer par cet affrontement de potes entre l’oscarisé Jean Dujardin -tout droit revenu d’Hollywood pour ce film- et Gilles Lellouche qui incarne avec brio leurs protagonistes respectifs. On n’avait pas vu Jean Dujardin aussi bon depuis longtemps, même s’il conserve ses tics de sourire ravageur à la Brice de Nice. A leurs côtés, deux femmes d’exception en la personne de Céline Sallette qui s’affirme véritablement comme l’une des actrices françaises les plus populaires de cette année (Vie Sauvage, Geronimo) et Mélanie Doutey (qui jouait déjà dans Aux Yeux de Tous) rare mais impeccable. Des personnages féminins bien implantées au récit mais qui paraissent plutôt en retrait et font davantage office de soutien psychologique à leurs hommes respectifs. Enfin, deux petits gars bien sympas viennent compléter le portrait, Benoit Magimel tout en furie retenue et Guillaume Gouix qui trouve là un très bon second-rôle. Des performances tout en justesse qui ne tombe jamais dans la caricature mais participe pleinement à la réussite de ce film.

En choisissant d’adapter l’histoire du Juge Michel et de sa lutte contre la French Connection, Cédric Jimenez n’avait pas le droit à l’erreur tant l’histoire est bien ancrée dans les mentalités, particulièrement dans les Bouches-du-Rhône. L’écrire avec sa compagne journaliste a été un plus indéniable, tant il colle au près de la réalité des faits. Moins film d’action que récit de personnages, Cédric Jimenez se permet d’entrer plus en profondeur, au plus intime des familles impliquées avec ce Juge Michel qui dévoile une facette sombre d’ancien joueur de casino, tandis que Zampa montre une compassion pour la jeunesse et la volonté de faire vivre la Côte, par tous les moyens. Au-delà de l’argent, c’est le pouvoir et le respect qu’il implique qui intéresse ce malfrat. Il y a un vrai travail sur ces deux personnages pour éviter de ne les réduire qu’à des héros ou des méchants. Au fond, La French raconte l’histoire de deux hommes avec des intentions, des convictions, des principes presque identiques mais qui différent par leur appartenance à un côté ou de l’autre de la loi. Le film insiste malgré tout sur le caractère héroïque de sa figure centrale qu’est Pierre Michel, tandis que Gaëtan Zampa reste véritablement le méchant du film. Les plus critiques reprocheront ce manichéisme mais ce serait omettre le travail plus subtil de la personnalité de ces deux hommes. Le réalisateur se permet même une pique finale à l’encontre de cette police corrompue et du gouvernement, dont le mérite de l’opération lui est attribué. Image d’autant plus forte qu’elle est mise en parallèle avec les gerbes de fleurs nous rappellant la personne à l’origine du démantèlement. On reprochera seulement à Cédric Jimenez d’accentuer la dramatisation à de nombreuses reprises et notamment autour de ce final dont l’issue tragique était perçue d’avance. Dommage par ailleurs que le réalisme revendiqué par le réalisateur tombe trop souvent dans l’exagération scénaristique. L’étonnante brièveté d’achèvement de son récit en laissera également certains sur la faim. La French est comme un film qui prend le temps de parcourir les événements mais se termine trop abruptement.

Bien que le film soit marqué par quelques défauts et un rythme lancinant, La French est un polar français tout ce qu’il y a de plus divertissant et intéressant. Dans ce projet risqué, Cédric Jimenez réussit magistralement l’opération tant il s’est approprié le matériau avec soin. De la superbe retranscription des années 70 à la véracité des faits énumérés, l’histoire du Juge Michel est un vrai beau morceau de bravoure de la justice française, et un formidable point de départ pour ce film polar dans la veine des plus grands. Les plus nostalgiques repenseront avec dévotion à l’époque des films où les têtes d’affiche de polar étaient Belmondo, Delon ou Ventura. A l’esthétique digne d’un bon millésime, La French est un polar sombre, drôle, stylisé, maîtrisé et assurément le film français à voir en cette fin d’année et donne une raison de plus de voir ou revoir le French Connection de William Friedkin.

Fiche Technique: La French

Titre original: La French
France
Genre: Drame
Durée: 135min
En salles le 03 décembre 2014

Réalisation: Cédric Jimenez
Scénario: Audrey Diwan – Cédric Jimenez
Interprétation : Jean Dujardin (Le juge Pierre Michel), Gilles Lellouche (Gaëtan « Tany » Zampa ), Céline Sallette (Jacqueline Michel), Mélanie Doutey (Christiane Zampa), Benoît Magimel (Le Fou), Guillaume Gouix (José Alvarez)
Image: Laurent Tangy
Décor: Jean-Philippe Moreaux, Willy Margery, Pascalle Willame
Costume: Carine Sarfati
Montage: Sophie Reine
Son : Guillaume Roussel (compositeur), Cédric Deloche, Pascal Villard, Marc Doisne
Producteurs: Alain Goldman, Genevieve Lemal, Marc Vade, Vanessa Djian
Production: Légende Films, Gaumont, France 2 Cinéma, Scope Pictures
Distributeur: Gaumont Distribution
Budget : 18 000 000 €
Festival: Présentation au Festival du Film International de Toronto 2014

Reporter/Rédacteur LeMagduCiné