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Cannes 2024 : Les Graines du figuier sauvage, fruits de l’espoir

Jérémy Chommanivong Responsable Cinéma

Le cinéma iranien est en plein essor et revient périodiquement dans les festivals internationaux depuis quelques décennies. On y découvre à chaque fois la société d’un pays gouverné par la peur, qui manque à ses devoirs envers ses citoyens et ampute tout élan artistique chez les cinéastes qui revendiquent leur liberté d’expression. Les Graines du figuier sauvage revient justement sur ces dysfonctionnements en  suivant une famille unie, mais qui va peu à peu révéler des fêlures.

Synopsis : Le juge d’instruction Iman est aux prises avec la paranoïa au milieu des troubles politiques à Téhéran. Lorsque son arme disparaît, il soupçonne sa femme et ses filles, imposant des mesures draconiennes.

Avant même de parler du nouveau film de Mohammad Rasoulof, l’incertitude autour de sa présence sur le tapis rouge a jeté un coup de froid avant le début du Festival. Obligé de cavaler en exil suite à une nouvelle condamnation (de cinq ans de prison) en Iran, le cinéaste est tout de même parvenu à rejoindre la Croisette pour défendre son film de la censure. Ses œuvres ont de quoi embarrasser les leaders politiques et spirituels iraniens, mais sa lutte reste légitime à bien des égards. Il décrivait déjà les entraves à la liberté et brossait le portrait d’une nation qui continue de cultiver la peine de mort dans Le diable n’existe pas. Bien qu’il ne soit pas le premier à faire l’objet d’une telle chasse à l’homme, on pense fortement à Jafar Panahi (Taxi Teheran, Aucun ours), Asghar Farhadi (Une Séparation, Le Client) et Saeed Roustayi (La Loi de Téhéran, Leila et ses frères) notamment, le cinéaste a su rester humble à tout instant.

Les fleurs du mal

Tout semble filer droit pour une famille assez loin de la misère. Seule la taille de leur logement oblige les deux filles adultes d’Iman (Misagh Zare) et de Najmeh (Soheila Golestani) à cohabiter dans la même chambre. C’est un peu le constat que l’on peut faire d’un pays comme à l’étroit, où la moindre étincelle finit par embraser chaque membre de la famille. Dans les rues, les citoyens hurlent leur mécontentement en espérant ne pas être pris pour cible par les forces de l’ordre. Rasoulof n’opte pas pour une reconstitution immersive des manifestations et préfère insérer d’authentiques images postées sur les réseaux sociaux pour attester d’une violente et sanglante répression. Nous ne verrons qu’une étudiante atteinte par un tir de flashball, sonnant ainsi le début des hostilités au sein d’une famille qui se déchire de l’intérieur.

Lorsque l’arme offerte pour la « défense » du père disparaît au milieu de la nuit, les soupçons se tournent vers les deux filles, qui regardent leur monde évoluer, en y découvrant les horreurs et les contradictions d’un système despotique et patriarcal. C’est ce que représente Iman, un fier agent du chaos qui ne voit pas le mal dans les lois qu’il défend. En passe de devenir un nouveau juge d’instruction, dont la principale tâche est de mater la révolution en actant « légalement » la mise à mort des manifestants, Iman bascule dans un endoctrinement silencieux. Sa vision de la stabilité et de la sécurité prend un sens que ses enfants discutent et que son épouse remet en question, malgré tout le soutien affectif qu’elle lui donne en public.

« Femme, Vie, Liberté »

Sana (Setareh Maleki) ne mâche pas ses mots pour tenter de raisonner son père, obsédé par un idéal qu’il ne comprend pas lui-même. Quant à Rezvan (Mahsa Rostami), la sœur cadette, elle préfère trainer sur son téléphone portable dans une tenue peu traditionnelle. Elles sont le futur du pays, les fameuses graines du titre du film. Le figuier, qui reflète l’Iran en perdition, pourrit de l’intérieur. Il s’agit d’en faire repousser des nouveaux avec des concepts progressistes et ouverts à la diplomatie. Ce que le film nous montre, ce sont les combats des femmes pour se faire entendre et gagner en légitimité. Leur conscience s’éveille et cela effraie le pouvoir en place, mais chaque petite victoire comme celle-ci est un progrès pour la culture iranienne, qui avance avec son époque.

Dans Les Graines du figuier sauvage, le devoir d’Iman est soumis à un interrogatoire inversé, car c’est bien le cinéaste qui maîtrise le dialogue, c’est bien lui qui capture l’incompréhension du peuple pour que le père de famille doute de son entourage. Iman peut-il devenir Un homme intègre dans une institution pleine de corruption ? Peut-il seulement remplir son rôle de père avec une arme cachée dans sa table de chevet ? Plus que jamais engagé politiquement, Les Graines du figuier sauvage nous permet d’écouter les lamentations qui se répètent depuis des années et qui sont amenées à bouleverser un mode de vie conservateur, un mode de vie sans libre-arbitre. Le tout est de pouvoir désarmer les véritables ennemis du peuple pour que chacun puisse tirer à balles réelles, ce qui n’a pas toujours été le cas. Mohammad Rasoulof déplore cette nécessité, mais garde tout de même à l’esprit que l’espoir ne peut être vaincu par la peur. Les derniers plans nous le rappellent avec rage, ironie et mélancolie. Notre palme de cœur !

Les Graines du figuier sauvage est présenté en Compétition au Festival de Cannes 2024.

Fiche technique

Titre international : The Seed of the Sacred fig
Réalisé par : Mohammad RASOULOF
Année de production : 2024
Pays : Allemagne, France, Iran
Durée : 168 minutes

Responsable Cinéma