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L’affaire Weinstein, vue par un mec « normal »

Décadence d’un homme au sommet. L’affaire Weinstein qui défraie la chronique ressemble à une intrigue de polar comme seul Hollywood en a le secret. Mais derrière le scandale se cache une réalité bien moins spectaculaire qu’une intrigue de film noir. Qu’est ce qu’il ressort vraiment du scandale qui entache le monde du cinéma?

Sale histoire !

Depuis quelques semaines, c’est le coup de semonce dans le monde du cinéma. Le légendaire producteur Harvey Weinstein est accusé d’agression sexuelle (voire de viol dans certains cas). Aussi énorme soit-elle, l’affaire a pourtant des airs de déjà vu : Un homme qui s’est hissé en haut de la pyramide en dégringole subitement quand les zones troubles de sa vie sont exposées au grand jour. Rien que dans l’univers de la culture les exemples ne manquent pas : Polanski accusé de crime sexuel sur une mineure en 1977 (toujours poursuivi par les États-Unis), Bertrand Cantat bat et tue Marie Trintignant en 2004 (récemment libéré après avoir purgé sa peine), Bill Cosby, qui avait étouffé l’affaire en 2004, refait face en 2015 à une cinquantaine de femmes qui l’accuse de viol (procès toujours en cours). Le point commun entre toutes ces affaires ? Malgré leur retentissement dans les médias, elles ont toutes fini pas rejoindre la case des faits divers, catégorisées par le public comme des cas isolés qui ne sauraient remettre en cause la morale irréprochable de notre société.

Et puis arrive ce nouveau coup de tonnerre : Producteur à succès et machine à engranger des Oscars, Harvey Weinstein se retrouve lui-même sur le banc des accusés après la parution d’un article du New York Time. Depuis, de multiples actrices accusent le magnat de comportement que la morale réprouve. L’ironie de l’histoire étant que sous ses airs de « revanche féministe » (une étiquette bien pratique pour tout le monde) se cache une réalité beaucoup plus laide. Comme certains essayent de le dire haut et fort, « tout le monde savait ». Peut-être que la généralité est un peu forte, et évidemment que l’on ne sait pas forcément ce qu’il se passe derrière la porte des chambres de nos connaissances. Toutefois, cette affirmation rappelle que le comportement tyrannique (limite mafieux) de Weinstein était un secret de polichinelle. Et voilà plusieurs années que certaines actrices tentent avec peu de succès de dénoncer, ou au moins de faire prendre conscience du problème. Il aura pourtant fallu attendre un article écrit par un homme (Ronan Farrow, fils de Mia Farrow et Woody Allen toujours à couteaux tirés avec son père pour une histoire de viol sur sa sœur – encore une), pour que d’un coup la sphère médiatique se sente concernée. Sans remettre en cause le travail abattu par Farrow, le fait qu’un seul homme qui dénonce Weinstein semble avoir, pour Hollywood, le même poids que cinquante femmes qui accusent Bill Cosby pose question. Qui tient véritablement les rennes dans cette histoire ? Les femmes qui prennent les armes pour se défendre face à une armée de gros dégueulasses ? Ou les actionnaires qui profitent du moment pour lisser un peu l’image de la machine à rêve Hollywoodienne tout en se débarrassant d’un collaborateur un peu trop puissant ? Question sans réponse qui (en plus) nous fait dévier du sujet.

#balancetonporc

Une nouveauté toutefois par rapport aux affaire précédentes : Ce n’est peut-être pas l’exemple que les néo-libéraux attendait, mais jamais la théorie du ruissellement n’aura aussi bien marché. Dans sa chute, Weinstein semble embarquer de plus en plus de monde. Tel le beauf estival qui fait sa bombe dans la piscine, le déclin du producteur fait de très grosses éclaboussures qui ne plaisent pas à tous. Ses proches collaborateurs se retrouvent dans le viseur : Où était Ben Affleck (protégé du producteur) ? Pourquoi Woody Allen (pas au-dessus de tout soupçon) appelle à ne pas tomber dans une « chasse aux sorcières » ? Pourquoi si peu de réaction de la part de Quentin Tarantino ou, pire encore, de Robert Rodriguez, ex-de Rose McGowan (une des principales accusatrices), tous deux produits par Weinstein ? Qui était vraiment au courant et qui était responsable d’étouffer toutes les plaintes qui risquaient de remontrer en haut lieu à coup de chantage et de gros chèques ? Chaque question en appelle une autre.

Mais bien décidé à ne pas se laisser faire, les femmes font déborder l’affaire dans le champ social. Lancé à la suite des révélations, le #balancetonporc recense ainsi sur Twitter nombre de témoignages de harcèlements quotidiens, qu’ils soient dans le milieu professionnel ou dans la rue. Pour une personne non concernée (un homme souvent), ces témoignages font froid dans le dos. Tous les jours nombre de femmes sont, au mieux insultées, au pire agressées, pour le seul crime d’être nées sans pénis. En tant qu’homme nous avons deux possibilités : La voie facile est de continuer à se voiler la face, de se dire que tous ces témoignages ne sont que des cas isolés qui, mis bout à bout, donnent l’illusion d’une masse compacte. Et puis il y a la voie compliquée. Celle qui nous oblige à prendre conscience du problème et à se rendre compte que le mammouth Weinstein n’est que la partie émergée de l’iceberg. Le gros arbre qui cache la forêt. Sur le moment on se dit « encore un gros porc qui s’est fait pincer » et sa défense à base de culture machiste héritée malgré lui des années 70 peut prêter à sourire. Moins drôle en revanche est la question qui finit immanquablement par ressortir : Comment aurait-il pu en être autrement ?

Malaise ou Male Gaze ?

Cela fait des années (des décennies?) que les études culturelles et les mouvements féministes tirent la sonnette d’alarme ! Mettant à jour, exemples à la clé, que notre culture est viciée par une hégémonie masculine. Dès 1975, l’universitaire Laura Mulvey théorisait le « male gaze », afin de mettre en avant la domination du regard masculin au cinéma (des films fait par des hommes, avec des hommes, pour des hommes). À sa suite, nombre d’études féministes s’épuisaient a déconstruire dans la culture populaire cette surreprésentation des modèles masculins dominants (la virilité, le symbole phallique, la culture du viol etc.), obtenant souvent une réponse parfois polie, souvent totalement indifférente. Il ne faut pas chercher très loin pour se rendre compte que ces études sortent rarement du champ universitaire. Et quand elles le font, elles sont reprises par leurs détracteurs pour être tronquées, remaniées et recrachées, vidées de leur substance. On se retrouve alors avec les portes paroles de la Manif pour Tous qui réduisent la théorie du genre à un complot de lobby gay tendance illuminati ou Eric Zemmour qui accuse Hélène et les garçons d’avoir « féminisé la société » (ce qui serait selon lui symbole de décadence). Tandis qu’au cinéma ou à la télévision rien ne bouge, ou si peu. Toujours cet étalage de corps virils et femmes hyper-sexualisées, y compris dans des films adoubés par la critique (Skyfall, Blade Runner 2049). Impossible également de marcher dans les rues sans tomber sur une image de femme dénudée vendant un quelconque parfum. Tous les jours nous sommes assaillis par une culture visuelle (cinéma, série, publicité) qui met main dans la main pouvoir (politique, financier etc.) et puissance sexuelle.

Ce scandale qui semblait prendre l’aspect d’une nouvelle affaire DSK devient finalement tentaculaire. Au travers de la figure de Weinstein, c’est tout un pan de notre culture qui est remis en cause. Plus qu’une échappatoire à la morosité du quotidien, est-ce que le cinéma (et la télévision) ne serait pas la plus efficace des arme inventées par l’homme pour asseoir sa domination ? L’impunité dans laquelle se croyait le financier semble aller dans ce sens. Plus qu’un producteur, Weinstein représentait une certaine idée du cinéma américain, capable de lancer des passerelles entre productions indépendantes et blockbusters, et prêt à tout pour faire vivre son art. Mais s’il n’est qu’un gros dégueulasse, peut être que le cinéma lui-même, malgré ses trop rares essais de féminisme, est un art dégueulasse ?

« Not all men »… mais beaucoup quand même.

Il y a effectivement de quoi sortir ses squelettes du placard. Tout cela prend des airs de Watergate 2.0, dans la manière où deux parties s’affrontent violemment. En réponse au #balancetonporc et « Me too » de Facebook, c’est sans surprise que nous retrouvons des réparties que l’on a entendues trop souvent à base de « elle l’avait un peu cherché » ou « elle n’a qu’à pas s’habiller comme ça ». Et tandis que certains pontes du monde de la culture commencent à claquer des fesses (ont-ils des choses à cacher?), d’autres tentent tant bien que mal d’éviter la vague. En contre-attaque, certains tentent d’apaiser les consciences en voulant mettre en avant les hommes respectueux. Car il est vrai que dans ce marasme, on a tendance à oublier ceux qui essayent de vivre leur vie sans faire de mal à personne.

Mais le souci vient surtout de la manière de présenter les choses. Cette façon de se défendre en disant « pas tous les hommes » revient finalement à réduire les actes répréhensibles à des épiphénomènes diffus quand on est face à un véritable problème de société. Et si c’était le cas, nous n’aurions pas dans les journaux autant de faits divers qui semblent se résumer à une seule idée : beaucoup d’hommes détestent les femmes. Ainsi, en mettant en avant ces mecs cool qui les respectent, on prend le risque de diluer le message premier : celui de dénoncer les abus trop nombreux. De la même manière que le All lives matter avait maladroitement tenté d’effacer le Black lives matter (mouvement de dénonciation des violences policières envers la communauté noire aux USA en 2013), surligner une évidence occulte le vrai sujet du débat.

Admettons, être un homme féministe n’est pas toujours chose aisée. Même s’il ne nous viendrait jamais à l’idée de battre notre compagne ou de considérer la femme comme inférieure à l’homme, tout en étant sensible aux combats féministes qui rythment l’histoire du monde, nous ne sommes pas parfaits. Il nous arrive de rire d’une blague sexiste dans un moment de faiblesse, de prendre notre pied devant un film qui nous bombarde avec son Male Gaze, parfois même jeter un regard indiscret dans la rue, attiré par un physique particulier. Être un homme et féministe semble parfois difficile à concilier, car cela demande une constante remise en question de nos valeurs ou de nos certitudes. Quelle attitude est acceptable ou ne l’est plus ? Que puis-je dire comme bêtise sans froisser la sensibilité de mes partenaires ? Depuis combien de temps suis-je du mauvais côté de l’histoire ? Tout cela peut paraître épuisant, mais ce n’est rien comparé au calvaire que vivent beaucoup trop de femmes à travers le monde. L’autre problème que nous pose l’affaire Weinstein, c’est la peur se retrouver dans le même sac que les grands pervers de ce monde. L’impression qu’un travail sur soi, parfois très long (toute une vie dans certains cas), risque d’être balayé, par les horreurs d’un gros porc qui fait la une des journaux, donne des sueurs froides.

« Je n’applaudis pas un poisson parce qu’il sait nager… »

Cette réponse cinglante d’une twitteuse à ceux qui proposait le #balancetonmecsupercool résume assez bien le problème (même si selon son créateur le # était ironique). Être un homme respectueux des femmes ne devrait pas être une exception qui nous permettrait de recevoir des louanges. Ce devrait être naturel. Pourtant, à force de Male Gaze, de domination masculine ou de délires parfois sectaires, ce qui devrait être la norme est l’exception. L’affaire d’un producteur tyrannique qui agresse ses collaboratrices devrait être un fait divers glauque, elle donne malheureusement le sentiment d’un écho redondant. D’une mauvaise chanson qui revient chaque été nous prendre la tête. A chaque année ses naissances, ses décès, et ses agressions sexuelles… c’est le triste constat que l’on fait devant la page GoogleActu. À nous alors de ne pas nous draper dans notre orgueil, de prendre fait et acte de ces déviances et d’accepter qu’il y a encore du chemin à faire. Apporter notre soutien à la cause est la chose la plus naturelle à faire mais n’essayons pas de tirer la couverture vers nous. Et si l’on se retrouve éventuellement accusé à tort de sexisme, à nous de nous défendre seul. Nombre de femmes doivent résister à des violences physiques autrement plus graves, on peut bien prendre sur nous un peu de violences verbales, si l’on est aussi fort que le cinéma nous le dit.

Est-ce que, malgré son comportement, Harvey Weinstein a enclenché le début d’une évolution des mœurs ? L’avenir reste incertain. Mais une chose est sûre, conséquence directe de son omniprésence dans le monde du cinéma, sa chute aura fait des remous. C’est peut-être parce que tout le monde a vu un film produit par le magnat que sa déchéance fait autant réagir. Connaître tout le monde à Hollywood fut longtemps sa force, maintenant cela pourrait signer sa perte. Néanmoins, avant de théoriser la fin du patriarcat par la crucifixion du producteur tout puissant, gardons en tête deux problèmes qui risquent de se poser à un moment : Premièrement Weinstein était une tête connue, une cible à abattre. Qu’il soit condamné pour ses agissements est une bonne chose, mais pour un producteur comme lui, combien d’actionnaires restent dans l’ombre et s’assurent que leur nom ne sorte jamais ? Aussi choquantes que soient les accusations portées envers le producteur, il est probable qu’il n’est pas le seul à avoir profité des quelques « avantages » qu’offre le pouvoir à Hollywood. Deuxièmement, et c’est là le plus gros risque, le public se lasse rapidement. Il n’est pas impossible que la sphère médiatique noyaute le scandale sur la seule figure de Weinstein. Cela finira alors comme une seconde affaire Bill Cosby, où le report du procès (faute de preuves suffisante) n’avait pas vraiment eu droit à la première page.

Redacteur LeMagduCiné