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Fences, un film de Denzel Washington : Critique

Tout tourné vers son interprétation qu’il espère oscarisée, Denzel Washington a oublié de mettre en scène son troisième opus en tant que réalisateur. Fences est un théâtre filmé décevant qui ne doit son intérêt qu’aux dialogues du dramaturge August Wilson.

Synopsis : L’histoire bouleversante d’une famille où chacun lutte pour exister et être fidèle à ses rêves, dans une Amérique en pleine évolution. Troy Maxson aspirait à devenir sportif professionnel mais il a dû renoncer et se résigner à devenir employé municipal pour faire vivre sa femme et son fils. Son rêve déchu continue à le ronger de l’intérieur et l’équilibre fragile de sa famille va être mis en péril par un choix lourd de conséquences…

Le monologue du voisin

Nombreux sont ceux qui ont eu l’audace ou tout simplement le courage de transformer une pièce de théâtre en une œuvre cinématographique. Un des exercices les plus casse-gueules qui soient. Par exemple, cette adaptation par Roman Polanski de Carnage, la pièce de Yasmina Reza a fait couler beaucoup d’encre, de fiel devrait-on dire. Mais à l’autre bout du spectre, on a pu avoir des pépites comme Incendies de Denis Villeneuve (adaptation d’une pièce de Wajdi Mouawad), ou dans un autre registre, le récent Juste la fin du monde de Xavier Dolan, une adaptation plausible de la pièce de Jean-Luc Lagarce.

Denzel Washington vient donc de se rajouter à cette longue liste, en adaptant Fences, la pièce du même nom d’August Wilson. Créée en 1983, la pièce a été reprise à Broadway en 2010 par Kenny Leon, pour une saison de 13 semaines, avec déjà au premier chef Denzel Washington lui-même, ainsi que Viola Davis. Pour ce qui est du scénario, le dramaturge en avait déjà élaboré une version bien avant sa mort en 2005. Des ingrédients dont Washington s’est emparé pour concocter cette version cinématographique.

L’histoire est celle de Troy Maxson, un homme et un chef de famille éprouvé, façonné par les conséquences d’une ségrégation raciale en vigueur encore à son époque, les années 50, mélangée à un puissant ego destructeur. Le film s’ouvre sur Troy et Jim Bono (Stephen Henderson), deux éboueurs de Pittsburgh à l’arrière de leur benne qui devisent sur l’iniquité de la division du travail d’éboueurs : les Blancs au volant, les Noirs au ramassage. En réalité c’est surtout Troy qui s’exprime, dans un quasi-monologue qui ne s’arrêtera qu’à la fin du service. Ce sera une des rares scènes qui se passent loin de l’arrière-cour de la maison de Troy. Le reste du métrage de 2h19 se déroulera chez lui, devant la maison, dans la cour ou à l’intérieur. Car les (excellents) dialogues de la pièce de Wilson sont si prégnants que l’adaptation de la pièce à l’écran est forcément marquée par ces échanges intenses. Contraint par cette situation, Denzel Washington livrera un film proche du théâtre filmé, sans avoir su vraiment trouver l’inspiration qui aurait transformé le caractère assez figé d’une pièce qui s’adresse à une salle en un film vivant ancré dans un réel et où les acteurs s’adresseraient plutôt les uns aux autres. Voici donc des acteurs qui déclament un texte écrit au cordeau, dans une quasi-unité de lieu, et une quasi-unité de temps, tant le montage, fade pour ne pas dire inexistant, ne met pas en exergue le passage du temps, plus d’une décennie qui s’écoule entre le début et la fin du film…

Denzel Washington est de tous les plans, servant de très longues tirades qui correspondent à divers états d’âme et que l’acteur parvient, plutôt moins que plus,  à nuancer, du fait d’un certain cabotinage qui a tendance à napper l’ensemble d’une uniformité qui finit par être lassante.

Troy passe ainsi d’un état de pure frustration, racontée avec une certaine fanfaronnade à son entourage, sa femme Rose (Viola Davis) et ses fils Lyons (Russel Hornsby) ou Cory (Jovan Adepo), à une véritable tyrannie domestique qu’il justifie en permanence par lesdites frustrations : écarté de son équipe de baseball en raison de sa couleur, cantonné à l’arrière des bennes à ordure pour les mêmes raisons, chassé de chez lui à 14 ans par un père violent, Troy n’est qu’aigreur, que souffrances, que vengeance, que peurs finalement. Apparemment incapable d’amour paternel, il met en réalité le sentiment du devoir accompli par dessus toutes choses, ainsi que sa notion de la responsabilité.

Face à cet ogre qui aspire tout l’air et toute l’énergie de la maisonnée, les autres personnages sont écrasés et peinent à exister. Ce n’est pas le cas bien sûr de son épouse Rose, incarnée magnifiquement par Viola Davis, dont la présence discrète, mais ferme et non dénuée d’humour fait un contrepoint utile et efficace à Troy. Viola Davis habite son personnage avec un certain académisme, mais avec une fougue et une vérité qui donnent sa vraie signature émotionnelle au film, sa longue tirade à mi-chemin du métrage étant véritablement le point d’orgue du film, après qu’au bout de 18 ans de mariage, elle brise enfin les non-dits. Mais pour le reste, enfants ignorés ou même étouffés dans leur identité, frère handicapé dont Troy saura tirer parti, ami de longue date témoin et complice involontaire des frasques du protagoniste, tout le monde est happé par la spirale destructrice de Troy, ce qui le rend plutôt antipathique.

Fences (Barrières en français) est un film plein d’allégories et de métaphores. Les barrières sont là à la fois pour « empêcher les habitants d’en sortir » comme dira un des personnages, et pour empêcher la Grande Faucheuse d’entrer, une des plus grandes frayeurs de Troy, un home qui a frôlé la mort et pas qu’une fois ; elles sont aussi le rempart de Troy contre les autres, ses propres fils, mais surtout contre lui-même, contre le lâcher prise, contre les sentiments.

On ne peut nier à Fences la capacité de nous tenir en haleine, et ce presque exclusivement grâce à la qualité de l’écriture d’August Wilson, et à l’interprétation irréprochable des acteurs. Paradoxalement, c’est pourtant ce qui en fait un film surfait, comme estampillé pour une marche inexorable vers les Oscars. Ça, ainsi que le manque d’audace et d’inspiration de Denzel Washington en tant que réalisateur, qui se solde par une œuvre insipide et interminable qu’on aurait certainement davantage eu de plaisir à voir sur scène qu’à l’écran.

Fences : Bande annonce

 

Fences : Fiche technique

Réalisateur : Denzel Washington
Scénario : August Wilson, d’après sa propre pièce
Interprétation : Denzel Washington (Troy Maxson), Viola Davis (Rose Maxson), Stephen Henderson (Jim Bono), Jovan Adepo (Cory), Russell Hornsby (Lyons), Mykelti Williamson (Gabriel), Saniyya Sidney (Raynell)…
Musique : Marcelo Zarvos
Photographie : Charlotte Bruus Christensen
Montage : Hugues Winborne
Producteurs : Scott Rudin, Denzel Washington, Todd Black, Coproducteurs Jason Sack, Tony Kushner
Maisons de production : Bron Studios, MACRO, Paramount Pictures, Scott Rudin Productions
Distribution (France) : Paramount Pictures
Récompenses : Oscars 2017 de la Meilleure actrice dans un second rôle pour Viola Davis, Viola Davis Meilleure actrice dans un second rôle Golden Globe et BAFTA 2017, Denzel Washington : Meilleur acteur, Golden Globe, nombreuses autres récompenses et 4 nominations aux oscars.
Budget : 24 000 000 $
Durée : 139 min.
Genre : Drame
Date de sortie : 22 Février 2017
Etats-Unis – 2016

Redactrice LeMagduCiné