La Couleur des sentiments

Comment faire pour être noir aujourd’hui aux États-Unis ? Peut-on vivre en paix dans un pays qui demeure profondément raciste, malgré l’élection de Barack Obama il y a déjà sept ans ? Telles sont les questions auxquelles tente de répondre Justin Simien, dont c’est la première réalisation. Un thème délicat, d’autant plus qu’il sort quelques semaines seulement après les incidents qui ont émaillé la fin d’année 2014, à Ferguson ou à New York. Car la question est souvent taboue, et considérée comme appartenant au passé, malgré toutes les tristes preuves du contraire.

American History Y

Plutôt que d’attaquer le sujet frontalement, Simien choisit d’utiliser la meilleure arme au monde face à l’intolérance : l’humour. Plutôt que de nous pondre un énième drame social, il préfère donc détourner les clichés dans une comédie au vitriol, bien écrite et bien pensée. À travers les portraits de quatre personnages au profil et au parcours personnel très différents, il illustre ainsi la diversité et la pluralité des profils de ces « afro-américains » que les média tentent trop souvent de faire rentrer dans une seule case. Quatre portraits n’ayant rien à voir, donc, si ce n’est leur couleur de peau, pour quatre histoires qui se croisent et s’entremêlent sur la toile de fond d’un campus comme il en existe des centaines outre-Atlantique.

Le scénario est parfaitement construit, et très intelligemment écrit, avec des répliques qui font mouche à chaque fois. Il faut dire que Simien a rodé son script, utilisant les réseaux sociaux pour tester le degré de corrosivité de certaines phrases, et n’hésitant pas à replacer certaines réactions dans ses dialogues. D’où le côté très vécu qui ressort du film, sans pour autant tomber dans l’excessif ou l’outrancier. On a ici véritablement l’impression d’avoir affaire à des jeunes, avec leurs problèmes et leurs rêves, plutôt qu’à des clichés ambulants. Même si, bien sûr, chaque personnage rentre dans certains codes et archétypes du genre. Finalement, plus qu’un film sur le racisme, Dear White People est un film sur la quête de son identité propre, au sein d’une société qui à tendance à gommer les individualités.

Naissance d’un film

Dear White People reste malgré tout un film sous influences. La première est sans aucun doute Tarantino, source d’inspiration, sans doute, pour les dialogues, mais aussi pour la construction chapitrée de l’histoire. Mais Simien ne s’arrête pas là et cite également Spike Lee, Bergman, et on le sent fortement inspiré par le cinéma des années 70 et la blaxploitation, ce genre de films destiné à un public majoritairement noir. Un grand brassage qui passe plutôt bien, même si la mise en scène manque un peu de personnalité, peut-être. Il s’agira maintenant de voir si Simien parvient à digérer toutes ses sources pour trouver son style propre.

Intelligent, incisif, bien écrit et mêlant parfaitement divertissement et réflexion sociale, Dear White People est une très bonne surprise, qui parvient à interpeller sans pour autant chercher à imposer son point de vue. Porté par un casting de jeunes enthousiaste, ce film est un vrai bain de jouvence dans une actualité morose. À voir absolument.

Synopsis : La vie de quatre étudiants noirs dans l’une des plus prestigieuses facultés américaines, où une soirée à la fois populaire et scandaleuse organisée par des étudiants blancs va créer la polémique. Dear White People est une comédie satirique sur comment être noir dans un monde de blancs.

Dear White People – Fiche Technique

USA– 2014
Comédie
Réalisateur : Justin Simien
Scénariste : Justin Simien
Distribution : Tyler James Williams (Lionel Higgins), Tessa Thompson (Samantha White), Teyonah Parris (Colandrea Coco Conners), Brandon P Bell (Troy Fairbanks)
Producteurs : Effie Brown, Julia Lebedev, Justin Simien, Ann Le, Angel Lopez, Lena Waithe
Directeur de la photographie : Topher Osborn
Compositeur : Kathryn Bostic
Monteur : Phillip J Bartell
Production : Code Red, Duly Noted, Homegrown Pictures
Distributeur : Happiness Distribution

Auteur : Mikael Yung