A trois on y va, un film de Jérôme Bonnell : critique

a-trois-on-y-va-film-de-gjerome-bonnell

Le précédent film de Jérôme Bonnell, Le temps de l’aventure, se déroulait un 21 juin, jour de la fête de la musique, en plein Paris. Parmi la foule, deux inconnus s’aimaient. De ce film, le 5e du réalisateur, se dégageait un hors temps savoureux, celui de l’amour comme du cinéma, le temps d’une journée. On y rencontrait un personnage délicieux et drôle qui se confrontait à un autre, empreint de mélancolie (il assistait à un enterrement). Avec A trois on y va, titre évocateur, Jérôme Bonnell prolonge cet état de l’amour, mais avec des personnages plus jeunes.

Synopsis : Charlotte et Micha sont jeunes et amoureux. Ils viennent de s’acheter une maison près de Lille pour y filer le parfait amour. Mais depuis quelques mois, Charlotte trompe Micha avec Mélodie… Sans rien soupçonner, se sentant toutefois un peu délaissé, Micha trompe Charlotte à son tour… mais avec Mélodie aussi ! Pour Mélodie, c’est le vertige. Complice du secret de chacun. Amoureuse des deux en même temps…

« La triangulation du désir »

Mélodie aime déjà Charlotte depuis quelques mois quand elle embrasse son copain, Micha, le soir du 14 juillet. Le réalisateur parvient là à renforcer l’intimité des personnages confrontés à un jour de fête où le monde (et les médias) s’arrête pour ne se focaliser que sur une célébration. Mais Jérôme Bonnell se consacre à un contrepoint, il quitte la foule pour rejoindre des amoureux; De même, Mélodie, centre lumineux de ce trio, est prise dans le flot de son travail, avocate pour des comparutions immédiates, tout autant que dans son amour.

Le bouleversement qu’elle vit est total et elle ne fait que courir et déclarer sa flamme sans retenue avec la fantaisie des enfants et l’envie des jeunes femmes. Voilà qu’elle parle de s’installer ensemble et même de vieillir. C’est ce qu’elle promet à Charlotte, l’insaisissable, qui de l’autre côté entend son amour officiel, Micha, lui parler de mariage et d’enfants. Le couple central, composé de Micha et Charlotte, traverse d’ailleurs une mini-crise au moment où on les rencontre : ils ne parviennent plus à retrouver la spontanéité de leurs débuts, quatre ans plus tôt. Jérôme Bonnell brosse d’abord des portraits, encore reliés au monde : Micha est vétérinaire, mais rêve d’ailleurs, Mélodie est avocate et est donc ancrée dans le monde tout autant qu’elle lui échappe par son évanescence. Enfin, Charlotte ne travaille pas, elle chante un peu pour gagner de l’argent, mais elle passe le plus clair de son temps chez elle. Elle parle du vide, de la passion et a peur de dire simplement « je t’aime ». Elle est comme la Lol V.Stein de Marguerite Duras (dans Le Ravissement de Lol V.Stein), une eau qui fuit sous les doigts.  Quelqu’un qui regardera son amour et sa maîtresse tomber amoureux devant elle et ne pourra pas vraiment les retenir, sa dramaturgie à elle est aussi « percée en son centre d’un trou ». Quelque chose d’imperceptible qui en fait un personnage complexe, à priori périphérique, mais finalement complètement central. C’est par consolation d’elle et de sa fuite que Micha et Mélodie tombent amoureux. Car Jérôme Bonnell filme avant tout un trio amoureux et il retrouve la même légèreté grave qu’avait su dépeindre Christophe Honoré dans Les Chansons d’amour. Sa différence à lui, c’est qu’il filme l’aube du trio et non sa fin. La scène de la révélation, quand le trio se forme enfin, est d’une poésie inouïe. C’est une main qu’on ne lâche plus devant l’autre, des corps qui s’approchent, pas de mots, rien que l’appel du désir.

Douceur, fraîcheur et mélancolie

Après avoir construit des portraits, joué des quiproquos pendant une bonne partie de son film, donnant lieu à de savoureuses scènes qui oscillent entre comédie, vaudeville et même « drame », Jérôme Bonnell réunit donc son trio qui se rend, ironie du sort, à un mariage. A l’église, comme plus tôt quand Charlotte chantait dans un bar une chanson d’amour, Jérôme Bonnell s’intéresse individuellement aux visages de ses personnages, mais cette fois il joint les trois figures en un plan plus large. Le film consolide ce trio qui se défait aussi vite qu’il se forme. Les vrais plans larges apparaissent finalement quand les trois sont réunis, dansant ou s’offrant une escapade sur la plage. Auparavant, Jérôme Bonnell s’est intéressé de près au corps, à la peau et aux yeux de ses personnages. Comme il filmait Emmanuelle Devos de manière follement amoureuse dans Le temps de l’aventure, Jérôme Bonnell capte tout des visages et des mains de ses personnages. A cet exercice, Anaïs Demousiter, souvent filmée ainsi, se débrouille à merveille. Son visage dévoile milles émotions, sa peau tâchée de rousseur est comme un soleil au cœur de ce trio. Félix Moati a quelque chose en lui de pleinement enfantin, mais aussi de grave, une certaine douceur l’accompagne. Et, enfin, Sophie Verbeeck, qui joue là un de ses premiers grand rôle au cinéma, visage grave, mais corps en quête de désir, offre à son personnage une profondeur inattendue. Elle dit elle-même que la comédie est un travail de précision, de maîtrise inouïe. Ici, elle vacille sans cesse entre mélancolie et comédie poétique. On est dans la comédie qui s’écrit, qui se répète, qui ne s’invente pas, mais qui apparaît d’une fraîcheur éternelle. Le film, au-delà de l’amour, est aussi un questionnement sur l’âge adulte, sur la fin de l’enfance. On voit alors une petite fille dans un mariage regarder les deux grandes filles que sont Charlotte et Mélodie et qui pourtant s’en foutent d’être adultes comme les héroïnes de Naissance des pieuvres s’en foutaient d’être normales. Quand ils dansent, ces trois-là jouent de la sexualité de leurs corps, comme de la jeunesse de leurs gestes. Le film n’est pas générationnel, c’est là sa force, il parle à tous. Le soir de l’avant-première, un monsieur plutôt âgé s’était montré très touché par le film, affirmant que cette histoire aurait pu arriver à tout âge. Et c’est vrai, l’Emmanuelle Devos du Temps de l’aventure, actrice comme Mélodie est avocate et plaide, aurait pu vivre cette aventure là, à trois. Mélodie est tout aussi naïve que l’était Alix. Ainsi, quand elle rencontre la perversité même, elle ne s’en méfie pas vraiment et finit par s’en mordre les doigts. Autour d’elle, personne ne se bat aussi fort qu’elle, elle est présente et absente à la fois. Jérôme Bonnell, en plus d’un travail très fin sur les dialogues et les situations (rien ne paraît jamais faux, même les plus belles déclarations qui pourraient vite devenir ridicules), a su, encore une fois, trouver des interprètes fabuleux. Dans ses premiers films, il faisait l’économie des gros plans, aujourd’hui c’est le contraire qu’il fait depuis deux films où il célèbre l’amour.

On a souvent filmé des trios au cinéma, c’est une source infinie de poésie, qui ne se demande pas si ça marchera et Jérôme Bonnell ne décide jamais complètement, la matière ne se dissout jamais vraiment. Éphémère ou durable, cet amour-là est de ceux qu’Alex Beaupain a toujours si bien chanté : « Les amours qui durent font des amants exsangues, et leurs baisers trop mûrs nous pourrissent la langue » chantait Grégoire Leprince Ringuet dans Les Chansons d’amour avant que Louis Garrel ne lui rétorque :  « Les amour passagères ont de futiles fièvres, et leurs baisers trop verts nous écorchent les lèvres. » Ces cinéastes-là ne choisissent pas ce qui est le mieux, ils offrent des bouleversements où tout se joue en quelques jours du premier baiser à l’effusion, en passant par l’explosion. Pourtant, sur la plage, c’est dans les bras de Micha que Mélodie s’endort enfin après avoir passé son temps à courir. Qui seront-ils dans 10 ans ? Le film ne le dit pas et c’est tant mieux, car c’est aussi ça le cinéma, un hors temps où tout est possible. Ici non seulement tout est possible, mais aussi très beau. C’est sûr, on y va et on en redemande même.

Bande annonce du film

Fiche technique – A trois on y va

Date de sortie : 25 mars 2015
Réalisateur : Jérôme Bonnell
Durée : 1h26
Interprètes : Félix Moati (Micha), Anaïs Demoustier (Mélodie), Sophie Verbeeck (Charlotte)
Montage : Julie Dupré
Photographie : Pascal Lagriffoul
Production : Rectangle Productions, Wild Bunch, Scope Pictures, France 3 Cinéma
Distributeur : Wild Bunch Distribution

Reporter LeMagduCiné